L’Union nationale des combattants et Hitler

On ne dira jamais assez le poids des anciens combattants dans la société française – et bretonne – des années 20-30. Dotées d’un nombre considérable d’adhérents, les grandes associations entendent jouer un rôle politique qui dépasse de loin la sauvegarde des « intérêts matériels et moraux » de leurs adhérents. Et c’est ainsi qu’en octobre 1934 Jean Goy, l’un des responsables au niveau national de l’Union nationale des combattants, qui est l’association majoritaire en Ille-et-Vilaine, n’hésite pas à présenter lors d’un congrès tenu à Rennes son programme, comme s’il était à la tête d’un parti politique1. Mais il est vrai que l’intéressé est aussi député du département de la Seine… Forts de la légitimité acquise dans les tranchées, les anciens combattants ne s’interdisent rien, y compris sur le plan diplomatique.

Carte de membre de l'UNC (détail). Collection particulière.

C’est ainsi que Jean Goy se trouve au cours du mois de novembre 1934 à la tête d’une initiative qui ne tarde pas à faire couler énormément d’encre : sa rencontre avec Hitler ! Il la relate d’ailleurs en détail dans l’édition du 18 novembre 1934 du Matin, texte qui est fort intéressant. En effet, à l’en croire, c’est moins le Führer que rencontre Jean Goy que l’ancien combattant de la Première Guerre mondiale. Or cette dimension est non négligeable puisque c’est cette expérience commune qui les autorise à évoquer la question de la Sarre puis du rapprochement franco-allemand pour « l’avenir de l’Europe ». Pour Jean Goy, il est en effet évident que les anciens combattants sont la clef de la paix à venir, message qui est peut-être un peu moins évident pour son interlocuteur…2

Bien évidemment, cette entrevue ne tarde pas à faire scandale. Mais, contre toute attente, c’est semble-t-il plus la forme que le fond qui choque, ce qui en dit long sur le poids du pacifisme dans la société française de cette époque. Agissant à titre personnel, et non en tant que responsable de l’Union nationale des combattants, Jean Goy est en effet accusé de mener une « diplomatie parallèle ».

La situation est telle que René Patay, le président de la section d’Ille-et-Vilaine de l’Union nationale des combattants, est obligé de prendre la plume et de venir à la rescousse de Jean Goy. C’est ainsi un vigoureux éditorial, intitulé « L’UNC et Hitler » qu’il signe à la mi-décembre 1934 dans le mensuel de l’association, Le Combattant d’Ille-et-Vilaine. Pour René Patay, lors de cette rencontre berlinoise, « c’était le fantassin de 2e classe Hitler et le zouave Jean Goy qui loyalement, semble-t-il, se déclarèrent le respect acquis en maints combats pour l’adversaire de jadis, l’horreur de la guerre qui en résulte mais aussi, des deux côtés l’attachement profond à la Patrie pour laquelle on a souffert ! ». Et c’est ainsi que le président de la section d’Ille-et-Vilaine de l’UNC se félicite du rôle « d’éclaireur » joué à cette occasion par Jean Goy, homme « qui sait le terrain très dangereux mais sait aussi que de sa démarche en avant et de sa vigilance dépendent tant de vies humaines ».

Anciens combattants à Lourdes, en 1934. Collection particulière.

Or ce propos n’est pas neutre. Encore une fois, c’est ici moins la question du fond que celle de la forme qui, en 1934, pose question. Et l’intention de René Patay n’est pas de critiquer la démarche de Jean Goy, puisqu’elle ne fait semble-t-il que peu de débats tant est solidement ancrée l’idée que les anciens combattants, du fait de leur expérience des tranchées, sont des acteurs essentiels de la paix à venir. Son propos est simplement de réaffirmer le leadership sur ce terrain de l’UNC, de peur de se faire doubler par une autre association, l’Union fédérale. Elle aussi fait d’ailleurs, quelques jours plus tard, le voyage de Berlin…

Erwan LE GALL

 

1 Les propos du président national de l’UNC lors du congrès de Rennes d’octobre 1934 sont ainsi repris dans Le Matin avec une formule sans équivoque : « Des anciens combattants de l’UNC réclament, à Rennes, des mesures contre les étrangers ». Le Matin, n°18 470, 15 octobre 1934, p. 2.

2 Sur cette question on renverra à MOREAU-TRICHET, Claire, « La propagande nazie à l’égard des associations françaises d’anciens combattants de 1934 à 1939 », Guerres mondiales et conflits contemporains, n°205, 2002/1, p. 55-70.