Le congrès de Rennes

Contrairement à ce qu’on lit encore trop souvent, le mouvement ancien combattant ne nait pas avec la Première Guerre mondiale mais après l’Année terrible, ce que rappelle bien l’exemple de la création de la section briochine de l’association des médaillés militaires. En revanche, il est indéniable qu’à partir du 11 novembre 1918, le mouvement connaît une ampleur et une force inédite, sur laquelle il n’est pas inutile de se pencher tant il structure les années 20 et 30.

C’est ce que rappelle notamment la lecture de l’édition du 15 octobre 1934 de L’Ouest-Eclair, numéro accordant une large place au congrès départemental de l’Union nationale des combattants tenu la veille à Rennes. Fondée au lendemain du conflit par Georges Clémenceau et le père Daniel Bottier – un ancien missionnaire en Afrique qui sert comme aumônier volontaire dans un régiment d’infanterie pendant le conflit – l’UNC est une association volontiers présentée comme conservatrice, notamment par rapport à l’Association républicaine des anciens combattants d’Henri Barbusse, proche du parti communiste. En Ille-et-Vilaine, son poids est réel puisqu’elle est la première association d’anciens combattants du département, éditant notamment un journal, Le Combattant d’Ille-et-Vilaine.

A Rennes, les congressistes de l'UNC réunis dans la halle Martenot le 14 octobre 1934. Cliché publié dans l'édition du 15 octobre 1934 de L'Ouest-Eclair. Archives Ouest-France.

A la lecture du compte rendu – peu critique – publié par L’Ouest-Eclair, deux éléments essentiels étonnent. Tout d’abord, et même si cela n’est pas totalement une surprise, le nombre d’anciens combattants réunis à Rennes pour ce Congrès. Il y en a d’ailleurs tellement que le quotidien rennais dit renoncer à avancer un chiffre ! Les photos publiées présentent une halle Martenot bondée et une place des Lices noire de drapeaux représentant toutes les sections du département.

Mais l’autre élément qui ne manque pas d’étonner, c’est le ton – extrêmement politique et virulent – de ce congrès puisque depuis les émeutes du 6 février 1934, dont on sait qu’elles ne sont pas sans répercussions sur le mouvement dans le département, « l’Union nationale des combattants a décidé de s’intéresser à la vie politique et sociale du pays que des fautes lourdes, des négligences coupables, des complaisances criminelles ont failli conduire à la ruine »1. Or le propos délivré lors de ce congrès extraordinaire est clair : l’UNC représente le peuple dans sa diversité – l’article insiste bien sur l’éventail des professions représentées : « industriels commerçants, cultivateurs, patrons, ouvriers et employés » – et celui-ci, uni dans la discipline, a été trahi par les élites. Et du constat on passe aux menaces puisque les membres de cette association ont « décidé une fois de plus [de] se serrer les coudes pour affronter une lutte nouvelle dont dépend le salut, la vie même du pays, pour lequel, déjà, ils ont versé leur sang ».

Le public, attentif lors des discours. Cliché publié dans l'édition du 15 octobre 1934 de L'Ouest-Eclair. Archives Ouest-France.

D’ailleurs, lorsque le président départemental de l’UNC – le docteur René Patay qui sera brièvement maire de Rennes en 1944 – laisse la parole à Jean Goy, le congrès d’anciens combattants prend définitivement des allures de réunion politique. Car celui qui occupe des fonctions de premier plan au niveau national au sein de l’association est aussi député de la Seine et n’hésite pas à présenter aux anciens combattants le « programme » de l’UNC. Et, prédisant la victoire qu’il espère être celle de son mouvement, il fait montre à cette occasion d’un certain sens de la formule :

« Mais cette fois, transformant la devise des héros de Verdun dont beaucoup sont des nôtres, nous ne dirons plus On ne passe pas ; nous dirons On passera. Et pour que la France vive, dans l’honneur et la probité, nous passerons. »

Une phrase qui rappelle bien le poids déterminant de la mémoire de la Première Guerre mondiale dans la France des années 1930.

Erwan LE GALL

1 « Le congrès extraordinaire de l’UNC d’Ille-et-Vilaine a donné lieu à une manifestation grandiose », L’Ouest-Eclair, n°13857, 15 octobre 1934, p. 6.