Traces de 1870 à la veille de 1914 : les médaillés militaires de Saint-Brieuc

Lorsque l’on pense aux mouvements anciens combattants, l’esprit vagabonde naturellement vers les années 1920, vers la fin de la Première Guerre mondiale, puis tout naturellement vers la Seconde. Il est vrai que celle qui devait être la der des ders est un moment important pour le monde combattant tant, sitôt la paix revenue, les associations sont nombreuses et concernent tous types d’armes, d’unités, de convictions politiques et même de professions puisque l’on sait que le diocèse de Saint-Brieuc abrite une association des prêtres anciens combattants ! C’est dire s’il s’agit-là d’un mouvement profond, recouvrant l’ensemble de la société de l’époque.

Pour autant, cette « génération du feu » comme elle se définit elle-même ne nait pas spontanément mais prend au contraire sa source sur un précédent que l’on a trop souvent tendance à oublier. En effet, en se focalisant uniquement sur les anciens combattants du premier conflit mondial, on oublie l’ombre portée des vétérans de 1870 lors de l’entrée en guerre de 1914. Or celle-ci est considérable, comme en témoigne le voyage du Président de la République, Raymond Poincaré, en Bretagne au printemps 1914. Lors de sa visite à Saint-Brieuc, le chef de l’Etat est accueilli en grande pompes par de nombreuses troupes du 71e régiment d’infanterie et du 13e régiment de hussard mais également par des membres de la section locale des médaillés militaires1.

Raymond Poincarré à Saint-Brieuc, le 31 mai 1914. Delcampe.

Cette association nous est connue grâce à trois cartons conservés aux Archives départementales des Côtes d’Armor à Saint-Brieuc2. Bien entendu, ces archives comportent de nombreux trous et ne permettent pas de retracer entièrement la vie de cette section mais elles demeurent d’un grand intérêt tant ce types de sources est rare. En effet, peu nombreux sont les services à conserver les archives d’associations d’anciens combattants en province. L’habitude veut en effet que le président local quitte son poste avec ses archives, celles-ci étant, après son décès, bien souvent détruites par la famille peu sensibilisé à l’intérêt de tels documents. Or, dans le cas de cette section des médaillés militaires briochins, ces archives sont d’autant plus rares qu’elles concernent une association née avant la Première Guerre mondiale !

 

Médaille militaire. Collection privée.

C’est en effet le 17 janvier 1909 que quelques titulaires de la Médaille militaire se réunissent, à l’Hôtel de Ville de Saint-Brieuc pour former une section locale, la 94e du nom. La Médaille militaire est une prestigieuse distinction créée en 1852 par Louis-Napoléon Bonaparte et qui, survivant à la chute du second Empire, demeure très populaire sous la IIIe République. Ne comportant ni grade ni degré, elle récompense les militaires de toutes armes pour leur bravoure et leurs mérites. Curieusement, ce n’est qu’en 1904 qu’une Société nationale des médaillés militaires de France est créée, essaiment immédiatement de multiples sections sur le territoire.

A Saint-Brieuc c’est Jules Etesse qui est choisi pour présider les médaillés militaires. Il faut dire que c’est un patriote irréprochable puisque vétéran de la guerre de 1870, il s’est engagé volontairement à l’âge de 18 ans dans les rangs des francs-tireurs ! Sous la direction énergique de ce président, la section briochine s’impose rapidement dans le paysage local, comme en témoigne la grandiose cérémonie de remise du drapeau de l’association, le 26 juin 1910. Il faut dire que regroupant 150 médaillés militaires, l’association est d’emblée dotée d’un certain poids.

Dès sa création, la section manifeste un vif intérêt pour les questions sociales comme en témoignent les initiatives prises en faveur des caisses de prévoyance, de la maison de retraite des Médaillés Militaires, ou bien encore de l’obtention de tarifs préférentiels chez certains pharmaciens.

Un accent particulier semble être mis sur la réinsertion des médaillés militaires, et plus particulièrement sur le retour à la vie civile des militaires de carrière après leurs années de service. Autant de préoccupations qui deviendront, quelques années plus tard, celles des associations d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale.

Erwan LE GALL

1 « Les fêtes de Saint-Brieuc », L’Ouest-Eclair, n°5636, 1er juin 1914, p. 2.

2 Arch. Dép. CdA : 3 R 55-57, médaillés militaires.