Et Dieu dans tout ça ?

Voici une carte postale véritablement extraordinaire. Datée de 1925, elle est constituée d’un dessin du célèbre illustrateur breton Jos Gwennic figurant l’action au feu des aumôniers militaires pendant la Grande Guerre. Elle est, selon toute vraisemblance, vendue au profit de l’Association des prêtres anciens combattants du diocèse de Saint-Brieuc et de Tréguier.

Cette description sommaire ne peut qu’interpeller. Tout d’abord elle montre combien le mouvement ancien combattant des années 1920-1930 est vaste, en ce qu’il touche toutes les catégories ou presque de la population, mais hétérogène. On sait ainsi que les associations se composent suivant les affinités politiques, l’implantation locale (matriochka d’associations de tel ou tel canton, commune, département, région…), le type d’arme (les marins ont des structures spécifiques, suivant qu’ils soient de la Royale ou de la Marmar) voir même l’unité (l’ensemble des amicales régimentaires) et donc la profession. Mais ce qui apparait sans nul doute assez « naturel » pour les instituteurs – à titre d’exemple, un rapport d’août 1919 fait état de 19 professeurs morts et disparus pour le seul arrondissement de Dinan1 – ne l’est pas nécessairement pour les membres du clergé.

Une telle carte postale est donc intéressante du point de vue de la structuration du milieu ancien combattant, sujet qui, gageons-le, sera évoqué lors du grand colloque de mai 2014 La Grande Guerre des Bretons, Vécus(s), Expérience(s), Mémoire(s), 1914-2014. Mais tel n’est pas le seul intérêt de cet objet. En effet, elle rappelle que nombreux sont les membres du clergé mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. Exerçant leur sacerdoce au front, ils sont parfois d’un grand soutien pour des poilus en quête d’aide spirituelle. Or force est d’admettre que la mémoire savante ne sait pas grand-chose de ces hommes et de leur action. Pour le seul 10e corps de Rennes on connait dans les grandes lignes la figure du R.P. Umbricht – aumônier de la 20e division titulaire de douze citations – voire de Pierre Marie Lec’hivien – liquidé en 1944 par la Résistance. Mais des cas aussi complexes mériteraient une solide mise au point historiographique.

Carte postale. Collection privée.

De surcroît, on ne peut que déplorer le nombre d’études, notamment prosopographiques, sur la question. Aussi nous ne pouvons que saluer l’initiative du Diocèse aux armées qui, dans le cadre du prochain centenaire de la Première Guerre mondiale, vient de se doter d’un « comité Grande Guerre » chargé de faire la lumière sur ces questions, en lien avec Xavier Boniface, dont on connait les travaux sur la question. Ce projet nous semble d’autant plus remarquable qu’il est œcuménique, dimension doublement importante, non seulement du point de vue mémoriel mais aussi du point de vue scientifique. En effet, si l’on ne peut que constater notre ignorance sur la question des prêtres mobilisés, force est d’admettre que le vide de nos connaissances est encore plus grand lorsqu’il s’agit des pasteurs et des rabbins au front, les troupes musulmanes ne bénéficiant pas d’imams, ce qui est particulièrement significatif.

Nous ne manquerons donc pas de vous tenir au courant de cette très intéressante initiative.

Erwan LE GALL

1 Arch. Dép. CdN : 3 R 64.