La mer pour s'évader. Des réfugiés espagnols à Ouessant (octobre 1937)

La Guerre d'Espagne est incontestablement l'un des drames majeurs de l'histoire du 20e siècle tant ses conséquences se répercutent sur l'Europe entière. Depuis le mois de février 1936 et l'élection du Frente popular, les tensions politiques ne cessent de s'accentuer entre les républicains et les nationalistes, menés par Francisco Franco. Cette guerre civile provoque de violents affrontements. Ceux du printemps 1937, dans le nord du pays, sont immortalisés dans la mémoire collective par le célèbre tableau de Pablo Picasso, Guernica.

Reproduction murale en faïence du célèbre tableau de Picasso à Guernica. Wikicommons.

Cette violence pousse des milliers d'hommes et de femmes à s'exiler, par tous les moyens, même les plus dangereux. L'une de ces histoires est relatée dans la presse bretonne1. Le 23 septembre 1937, vingt-sept Espagnols – vingt-deux hommes, une femme et ses quatre enfants – rejoignent La Corogne et s'embarquent sur une tartane – un bateau à voile typique de la Méditerranée – avec l'objectif de rejoindre la France. La tentative est tout aussi audacieuse qu'inconsciente tant le  rafiot, d'à peine dix mètres de long, ne semble pas adapté aux caprices de la navigation dans l'Atlantique, aux dires des « excellents marins» interrogés pour l’occasion par la presse bretonne. Malgré tout, l'embarcation tient bon. En revanche, ce sont les vivres qui viennent à manquer : le quatrième jour ils boivent leurs dernières gouttes d'eau potable, le septième, avalent leurs derniers aliments. C'est donc un équipage diminué qui est secouru le 1er octobre, vers 5h30, au large d'Ouessant.

A Argelès, dans un des camps de la Retirada. Carte postale. Collection particulière.

Cette arrivée surprend certainement plus le lecteur actuel que les contemporains. La France est, pendant près de trois ans une terre d'exil pour les républicains, sans pour autant être une véritable terre d'accueil. Pour des raisons évidentes, les réfugiés rejoignent principalement les départements français frontaliers. Ils y sont alors internés dans des camps de concentration2 restés tristement célèbres : Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien... Mais face à l'afflux incontrôlé et à la rapide saturation des camps, l'administration française décide de répartir ces réfugiés sur l'ensemble du territoire. La préfecture du Finistère annonce ainsi pouvoir accueillir 1 700 d'entre eux dès 1937. Ces capacités s'avèrent toutefois insuffisantes. En effet, à la fin de l'hiver 1939, la Retirada entraine l'exode de près de 500 000 hommes, femmes et enfants. Ce sont alors entre 4 000 et 4 700 réfugiés qui rejoignent le Finistère. A quelques kilomètres, les autorités morbihannaises annoncent la présence de 2 382 Espagnols en février 19393. Les études menées à l'échelle départementale démontrent bien le pragmatisme de l'action de l'Etat à l'égard de ces populations4. Aucune politique d'accueil n'est réellement mise en place ce qui rend les conditions de vie sommaires et souvent difficiles.

Il faut dire que  la  question de l'accueil des réfugiés fait débat en France dès les premières arrivées en 1936. D'un côté, la presse conservatrice, fermement opposée au Front populaire, s'inquiète de la présence d'hommes considérés comme « des soldats dangereux, des communistes armés qui risquent d’exporter la guerre civile en France »5. D'un autre côté, la presse de gauche prend la défense des républicains et réclame « l'humanisme » de la population. Ces débats se répercutent sur le terrain. Certains maires refusent fermement d'apporter leur aide, menaçant même de démissionner de leurs charges6. Le 1er octobre 1937, le Gouvernement finit par céder et annonce le rapatriement de 50 000 Espagnols – dont ceux du Finistère – vers la frontière7.

A Ouessant, les rochers du Créac'h. Carte postale collection particulière.

C'est donc dans ce climat délétère qu'accostent les réfugiés d'Ouessant. Pourtant, c'est bien la solidarité qui semble dominer. C'est en tout cas ce que rapporte le journaliste de L'Ouest-Eclair. Il attribue ce fait à la grande générosité des Finistériens. Déjà sur mer, seul un thonier breton apporta son aide à la tartane. Puis sur terre, les réfugiés sont immédiatement  logés et nourris par la population de l'île. Le journaliste explique « qu'à l'île d'Ouessant l'on connaît et l'on pratique, mieux qu'ailleurs peut-être, la grande loi de l'hospitalité et de l'entraide. Le destin jette si souvent sur ces côtes hérissées de récifs des navires et des navigateurs ! ». Mais peut-être que l'explication d'un tel accueil tient davantage à la déclaration des Espagnols : ces derniers souhaitent rapidement rejoindre Barcelone. Ils ne sont pas alors réellement considérés par la population comme des réfugiés...

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Vingt-sept Espagnols, dans une embarcation, tentaient de gagner Brest à la voile et à la rame », L'Ouest-Eclair (édition du Finistère), 2 octobre 1937, n°14 937, p. 4 et « Vingt-sept réfugiés espagnols partis de la Corogne sur une tartane débarquent à Ouessant », La Dépêche de Brest, 2 octobre 1937, n°19 537, p. 3.

2 Sur l’emploi de ce terme, se rapporter impérativement à WIEVIORKA, Annette, « L’expression camp de concentration au XXe siècle », Vingtième siècle, Revue d’histoire, n°54, avril-juin 1997, p. 4-12.  

3 « Plus de 2000 réfugiés espagnols dans le Morbihan »,  Le Nouvelliste du Morbihan,53e année, n° 42, 18 février 1939, p. 2

4 SODIGNE-LOUSTAU, Jeanine, « L'accueil des réfugiés civils espagnols de 1936 à 1940. Un exemple : la région Centre », in Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1996, n° 44, p. 42-47.

5 KERMOAL, Benoit, « « Quand quelqu’un frappe à la porte »: la mairie socialiste de Landerneau et les réfugiés espagnols (1937-1939) ».

6 Ibidem

7« 50 000 réfugiés vont être dirigés vers l'Espagne gouvernementales », L'Ouest-Eclair (édition du Finistère), 2 octobre 1937, n°14 937, p.2.