La Sainte-Barbe 1933 des Bigors lorientais

Le 4 décembre est traditionnellement célébrée Sainte-Barbe, protectrice de la foudre et de la mort subite. Une sainte prisée par de nombreux métiers vulnérables (mineurs, pompiers, militaires …) qui lui rendent annuellement hommage. Le 4 décembre 1933 n'échappe pas à la règle. Alors que dans toute la région se multiplient les bals de pompiers, à Lorient ce sont les « bigors » du 11e régiment d'artillerie coloniale  qui se distinguent en organisant un week-end de festivités dont le point d'orgue est un bal fastueux « recherché par la jeunesse » de la ville1.

Pour plus de commodités, les festivités de l'année 1933 sont organisées le week-end qui précède la date officielle. Le samedi 2 décembre, à 21 heures, les convives se rejoignent dans les salons Le Mic (cour de Chazelles) richement ornés pour l'occasion « de plantes vertes » disposées par le « réputé, M. Joubioux », et éclairés par des effets lumineux « qui donnait un aspect féerique au plus ancien des salons lorientais ». Au son de la Marseillaise, jouée par un orchestre localement réputé, un cortège de militaires défile au milieu des invités puis s'arrête devant « une grenade et une ancre de marine, attributs de l'Artillerie Coloniale ». L'ouverture du bal est donnée, celui du vin d'honneur aussi …

Carte postale, datant probablement du début des années 1910. Collection particulière.

Un épisode retient l'attention. Vers minuit, un intermède – décrit comme « amusant » par un journaliste du Nouvelliste du Morbihan – est déclenché par l'arrivée d'un pompier, accompagné de militaires vêtus d'un fez, couvre-chef traditionnel d'Afrique du Nord. Puis, devant des danseurs surpris, « tous se jetèrent à terre pour invoquer Allah suivant les rites prescrit par Ali l'auteur du Coran ». Un clin d'œil au régiment colonial certes, mais aussi une scène qui symbolise une époque où le « folklore » colonial amuse et intéresse les Français, comme en témoigne les succès de l'Exposition coloniale  internationale organisée deux ans plus tôt à Paris. En effet, les applaudissements des convives traduisent la réussite de la mise en scène.

            La parenthèse terminée, la danse reprend pour ceux qui ont la chance de posséder une invitation. Alcoolisés, trois lorientais se voient refuser l'entrée du bal. Une négociation houleuse met à terre l'agent chargé de sécuriser la porte des salons2. Un nez cassé plus tard, les fauteurs de troubles sont mis hors de nuire. La fête continue alors « dans le plus vif entrain jusqu'à une heure avancée de la nuit ».

Le dimanche est plus familial. A 12 heures 30, les bigors sont réunis avec leurs proches pour un copieux banquet. Une heure qui permet, conformément aux conventions, de participer à la messe, tout du moins pour ceux qui ne sont pas atteints des maux qui accompagnent souvent ces lendemains de fêtes alcoolisées …

L'Ouest-Eclair du 4 décembre 1933. Archives Ouest-France.

Le déroulement de la Sainte-Barbe 1933 est intéressant par bien des égards. On notera tout d’abord que les débordements festifs du samedi soir ne sont malheureusement pas chose récente. De même, on ne manquera pas de remarquer que certains « clins d’œil » jugés drôles à l’époque seraient aujourd’hui particulièrement choquants. Par ailleurs, L’Ouest-Eclair nous rappelle que ce bal de Sainte-Barbe 1933 organisé par le 11e RAC est « toujours recherché par la jeunesse lorientaise ». C’est un élément qui peut sembler étonnant aujourd’hui mais qui témoigne d’une insertion des armées dans la société qui est sans commune mesure avec ce que l’on peut connaître de nos jours. Enfin, cette Sainte-Barbe 1933 rappelle combien les bals sont populaires dans la Bretagne de l'entre-deux-guerres. Un plaisir qui ne se dément pas sous l'Occupation et ce, malgré les interdictions3.

Yves-Marie EVANNO

 

1 « Les Bigors fêtent joyeusement la Sainte-Barbe », L'Ouest-Eclair, 4 décembre 1933, n° 13542, p. 4.

2 « Le bal des bigors », Le Nouvelliste du Morbihan, 5 décembre 1933, 48e année, n°283, p. 3.

3 QUILLEVERE, Alain, « Les bals clandestins dans les Côtes du Nord sous l'Occupation. La danse une activité réprimée », Musique bretonne, n°222, septembre-octobre 2010, p. 40-45 et n°223, novembre-décembre 2010, p. 14-30.