Le rapt de Champaubert !

En annonçant dans son édition du 5 octobre 1929 la mort du « pseudo marquis de Champaubert », L’Ouest-Eclair ravive les braises de l’une des plus rocambolesques histoires qu’il soit, celle du braquage – raté – du siècle dans un castel truqué de Dinard. Confondu par les autorités, Elie de Champaubert se révèle n’être que Clément Passal et finit par purger une peine de prison, qu’il parvient à raccourcir en feignant l'idiotie.

Désireux de se refaire une virginité et de se « ranger des voitures », l’escroc repenti entreprend la rédaction de ses mémoires, plusieurs éditeurs sentant le « bon coup » l’ayant en effet pressé à prendre la plume. Mais, rapidement, l’ascèse qu’exige l’écriture ne semble pas suffire Clément Passal qui, comme aux plus belles heures du marquis de Champaubert, imagine un stratagème délirant pour assurer la publicité de son futur ouvrage : fomenter son propre enlèvement par un groupuscule dit des « Chevaliers de Thémis » se présentant comme des justiciers punissant les malfaiteurs ayant bénéficié de peines jugées insuffisantes.

Comme dans les meilleurs thrillers, l’organisation envoie des lettres à la presse qui se montre dans un premier temps dubitative jusqu’à l’annonce de l’enterrement vivant du marquis de Champaubert dans une forêt des Yvelines, plan à l’appui. Mais lorsque les gendarmes arrivent sur place, il est déjà trop tard puisque le stratagème a déjà pris une tournure inattendue que Clément Passal n’avait manifestement pas prévue. En effet, les forces de l’ordre ne tardent pas à trouver le lieu exact de l’inhumation et mettent rapidement la main sur un cercueil dont ils font promptement sauter le couvercle, pour découvrir la dépouille de Champaubert, mort par asphyxie.

Le marquis de Champaubert revient parmi nous. Véritable phénomène de société, l'histoire de Clément Passal inspire même les artistes comme le rappelle cette photographie d'un groupe burlesque prise à Nantes. Carte postale, sans date. Collection particulière.

Dès lors, se pose légitimement la question des motifs de ce meurtre qui parait bien être imputable à ces mystérieux « Chevaliers de Thémis ». C’est pourtant une toute autre réalité que révèle, très rapidement d’ailleurs, l’enquête puisqu’il apparait que le cercueil était équipé d’un système de tuyauterie destiné à permettre la respiration sous terre de Clément Passal, jusqu’à sa délivrance par les gendarmes. Sauf que la technique lui joue un ultime tour et que c’est bien dans ce cercueil que, privé d’air, le grotesque escroc rend son dernier souffle.

Si l’on suit volontiers L’Ouest-Eclair lorsque le journal breton affirme que le nom de Champaubert appartient « aux annales de l’escroquerie », c’est bien entendu à la vue des faits mais aussi parce que cette grandiloquente affaire fait la une de bien des quotidiens parisiens. Le Figaro partage ainsi les mêmes références littéraires que le quotidien rennais et ne manque pas de rappeler combien ce fait divers ressemble aux plus sombres contes d’Edgar Allan Poe. Le Petit Parisien évoque lui en première page une « mise en scène fantastique et mystérieuse » tandis que le Petit journal se focalise plus sur le résultat de la machination : « Enterré vivant et mort d’inanition ». Mais tous ont en commun de n’accorder que bien peu de crédit à Clément Passal et ses « Chevalier de Thémis », refermant ainsi définitivement l’une des plus grotesques pages criminelles que la Bretagne ait jamais connue.

Erwan LE GALL