Le Castel truqué

L’affaire qui fait la une de L’Ouest-Eclair le 27 septembre 1924 comme étant celle de « La villa truquée de Dinard » compte assurément parmi les plus rocambolesques de l’histoire du crime organisé, et parait en tout point digne de servir de scénario à un film hollywoodien. En ce samedi d’automne, le quotidien rennais annonce en effet l’arrestation à Elbeuf  (Seine-Maritime) d’une  « pseudo-marquise de Champaubert » tandis que son prétendu mari, dont la réelle identité aurait été établie, serait inculpé de « tentative d’assassinat, faux et escroquerie ».

L’affaire débute un mois auparavant lorsqu’un riche homme d’affaires, administrateur de plusieurs mines au Tonkin et portant haut le ruban de la Légion d’honneur, le marquis Elie de Champaubert, arrive en villégiature à Dinard accompagné de son épouse, après un long séjour en Asie du Sud-Est. Après quelques jours à l’hôtel, le couple décide de s’installer plus longuement dans une belle demeure mais impose un cahier des charges précis aux différentes agences immobilières de Dinard en charge de son dossier : le marquis souhaite une villa de standing mais avec un vaste jardin. Finalement, son choix se porte sur le Castel du Prieuré, splendide demeure néogothique dont les voisins – un hôtel d’une part, un couvent d’un autre – ne se situent que dans un rayon d’une centaine de mètres.

Le Castel du Prieuré: une demeure isolée. Carte postale. Collection particulière.

Habitués à la présence du gotha en leur fastueuse station balnéaire, les Dinardais ne paraissent dans un premier temps pas prêter une attention particulière à la présence de ce riche marquis, capable de payer comptant les 14 000 francs de la location du Castel pour deux mois. Mais les soupçons rapidement s’éveillent. Si de nombreux témoignages a posteriori font état d’une attitude du marquis qui ne semble pas en accord complet avec les quartiers de noblesse affichés, malgré les prodigalités largement accordées aux différents personnels en charge des affaires du couple, c’est la discrétion des nouveaux locataires du Castel du Prieuré qui semble intriguer : personne ne les as vu sortir alors que la saison balnéaire bat son plein et qu’il est alors de bon ton de se montrer dans les nombreuses mondanités qui sont organisées à cette occasion. De plus, certains bruits étranges émanent de temps à autre de la demeure, comme si l’on y effectuait des travaux.

Or, les investigations menées par la police permettent d’établir que l’homme installé au Castel du Prieuré en tant qu’Elie de Champaubert se trouve en réalité porter le patronyme de Passal, et être connu pour être un escroc notoire. Et c’est d’ailleurs lorsque les forces de l’ordre apprennent que le marquis a invité en son château plusieurs joailliers parisiens pour qu’ils lui présentent leurs plus belles pièces qu’il est décidé de passer à l’action, et de tendre un piège au couple : les bijoutiers ne seront pas seuls mais accompagnés de véritables policiers en civil.

Carte postale. Collection particulière.

Sage précaution qui fait échouer le guet-apens mais qui permet de découvrir toute la complexité du stratagème échafaudé par Clément Passal alias Elie de Champaubert. Car les bruts entendus étaient bien ceux de travaux destinés à rendre hermétiques deux pièces en sous-sol et à y installer un équipement qui, à l’aide de chloroforme, aurait asphyxié les joailliers, permettant ainsi au faux marquis et son épouse de s’emparer du butin et de s’enfuir rapidement, grâce à la puissante automobile parquée dans les allées du jardin.

L’affaire est belle et fait penser aux plus incroyables histoires d’Arsène Lupin : un escroc dont le talent et l’imagination ne peuvent que susciter l’admiration, un vol presque parfait sans crime de sang et des forces de l’ordre qui finissent pas triompher du malfaiteur. Il n’est donc pas étonnant que cette affaire survenue en Bretagne, sur la Côte d’Emeraude, alimente les gros titres de la presse nationale : il y là un fait divers en or pour des rédactions toujours plus avides de sensationnalisme pour mieux vendre du papier.

Erwan LE GALL