Maurice Pilorge, le criminel au « visage radieux »

Maurice Pilorge est incontestablement l’un des criminels les plus célèbres de Bretagne. Auteur du meurtre d’un ressortissant mexicain en 1938, il est le dernier condamné à avoir été guillotiné à Rennes. Mais la postérité, il l’a doit davantage à Jean Genet qui lui dédie le poème « Le condamné à mort » en 19421. Trois ans après l’exécution de son « ami », l’écrivain continue de fantasmer sur celui « dont le corps et le visage radieux hantent [ses] nuits sans sommeil... » Si les deux hommes ne se sont probablement jamais rencontrés, Jean Genet contribue malgré tout à façonner l’identité d’un criminel qui, à bien des égards, est éloignée de celle décrite par la presse locale au moment du meurtre2.

La prison de Rennes où est incarcéré Maurice Pilorge. Carte postale. Collection particulière.

Maurice Pilorge naît le 19 mai 1914 à Saint-Malo. Devenu très rapidement orphelin de son père, il vit une enfance particulièrement agitée. A l’âge de 11 ans, il est confié « à un patronage parisien » après avoir « martyrisé des animaux »3. La suite de son adolescence est alors une longue succession de délits qui le conduisent notamment au bagne de Belle-Ile-en-Mer. Le 23 juillet 1938, deux semaines après avoir déserté le 129e régiment d’infanterie du Havre, il s’enregistre à l’Hôtel du Pavillon de Dinard sous le nom de Delaure.  S’il séjourne dans la cité balnéaire en pleine période estivale, c’est dans l’espoir d’y cambrioler un maximum de riches touristes. Il cherche, selon ses dires, à se constituer un pactole avant de s’exiler en Belgique4.

Après deux semaines d’explorations fructueuses, Maurice Pilorge décide de passer la soirée dans un bar de la ville. Vers 4h00 du matin, il quitte les lieux en compagnie de Nector Escudero y Mendizabel. Ces derniers rejoignent alors la chambre louée par le Mexicain à l’hôtel Emeraude-Plage. Quelques minutes plus tard, le veilleur de nuit voit les deux hommes réapparaitre dans le hall de l’établissement. Nector Escudero y Mendizabel, dont le visage est désormais meurtri, tente de rattraper Maurice Pilorge qu’il accuse de l’avoir volé. Craignant être repéré, le Breton lui tranche la carotide à l’aide d’une lame de rasoir qu’il détenait dans sa poche. La scène se déroule devant les yeux du veilleur de nuit de l’hôtel qui donne immédiatement l’alerte, ce qui permet l’arrestation rapide du meurtrier5.

Trois mois plus tard, à la fin du mois de novembre 1938, Maurice Pilorge comparaît devant la Cour d’Assises d’Ille-et-Vilaine. Sa relation avec sa victime suscite de nombreuses interrogations. Si le Malouin affirme avoir rencontré fortuitement le Mexicain, sa version ne convainc pas complètement le juge. Ce dernier se demande si les deux hommes ne sont pas liés à une affaire de proxénétisme, ou s’ils ne sont pas complices du meurtre, quelques semaines plus tôt, d’un policier à Paris. Maurice Pilorge maintient cependant sa version. Il affirme que Nector Escudero y Mendizabel lui a fait des avances qui le « révoltèrent » et que, s’il avait accepté de suivre ce dernier, c’était pour le « punir »6. Devant le juge, il n’hésite d’ailleurs pas à déclarer que « c’est une crapule de moins sur terre »7. Tels qu’ils sont présentés dans la presse bretonne, les propos de Malouin laissent entrevoir la perspective d’un crime homophobe. Cette représentation a de quoi surprendre tant elle tranche avec l’image proposée trois ans plus tard par Jean Genet. A en lire les journaux, le juge n’évoque jamais l’éventualité d’un crime passionnel. Ce qui en définitive joue en la défaveur de Maurice Pilorge, ce sont bien ses antécédents judiciaires. Le tribunal décide en conséquence de le condamner à mort. Au moment du verdict, le jeune homme fait preuve d’une énième provocation en déclarant au juge que « maintenant on ne pourra plus [lui] refuser des cigarettes ! La vie est belle ! »8.

Maurice Pilorge, à droite, pendant son procès. Cliché publié le 18 novembre 1938 par L'Ouest-Eclair. Bibliothèque nationale de France / Gallica.

Le 3 février 1939, alors qu’il doit être exécuté le lendemain, il profite d’un sursis inattendu. Et pour cause, alors qu’il s’apprête à prendre le train pour Rennes, Anatole Deibler, le bourreau aux « 400 têtes », succombe d’un infarctus9. Repoussée de 24 heures, l’exécution a finalement lieu le 5 février devant la prison du boulevard Jacques Cartier. Malgré le froid et l’épais brouillard qui s’est abattu sur la ville, de nombreux curieux commencent à s’installer dès 3 heures du matin, de façon à profiter pleinement du spectacle10. Refusant d’être tenus éloignés à 100 mètres de la guillotine, quelques malins se mettent à la recherche de cachettes pour le moins saugrenues. L’un d’entre eux est d’ailleurs délogé alors qu’il venait de s’endormir « dans la petite cabane qu’il avait confectionnée avec des planches qui le protégeait de la bise ». A 6h20, « l’avocat général, le défenseur, l’aumônier et le greffier » viennent réveiller le condamné. Peu impressionné, Maurice Pilorge déclare que « jamais [il n’aura] eu autant d’admirateur à [son] petit lever… »11. Une dizaine de minutes plus tard, il arrive devant la guillotine avec la même désinvolture dont il avait fait preuve durant son procès. Il se coiffe alors « d’un chapeau pointu de clown qu’il a fabriqué la veille avec du papier » puis se voit accorder une dernière faveur. On lui apporte un bol de lait chaud agrémenté d’une bonne « rasade de rhum » qu’il savoure comme il se doit. Remarquant l’impatience de son bourreau, il lui rétorque « je comprends que  vous soyez pressé, pas moi…. ». Puis, dans une ultime facétie, il réclame sa dernière cigarette. Quelques secondes plus tard, à 6h46, le couperet s’abat sur Maurice Pilorge.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Pour une présentation générale on renverra à GUITTON, Georges, « Jean Genet, le guillotiné de Rennes », in GUITTON, Georges, Rennes de Céline à Kundera, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 55-67.

2 Sur ce point, voir SENTEIN, François, L’assassin et son bourreau. Jean Genet et l’affaire Pilorge, Paris, La Différence, 1999.

3 « Cour d’Assises », L’Ouest-Eclair, 17 novembre 1938, p. 6.

4 Ibid.

5 « Cour d’Assises », L’Ouest-Eclair, 18 novembre 1938, p. 6.

6 Ibid.

7 « Pilorge, qui tua un Mexicain à Dinard, est condmané à mort », La Dépêche de Brest, 18 novembre 1938, p. 2.

8 Ibid.

9 « Deibler est mort à 76 ans », Paris Soir, 3 février 1939, p. 1.

10 « Justice est faite », L’Ouest-Eclair, 5 février 1939, p. 5.

11 « Pilorge a été exécuté ce matin », Paris Soir, 5 février 1939, p. 1.