Rennes en toutes lettres
Recueil d’articles revus et augmentés mais précédemment publiés au sein de la défunte revue Place publique Rennes, cet ouvrage de Georges Guitton1 est à l’image de ce que fut cette éphémère aventure éditoriale : un périodique singulier, novateur, beau, attachant et résolument urbain. Le parti pris de l’auteur est en effet aussi audacieux qu’original : offrir une visite du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine à travers 10 portraits d’écrivains célèbres qui, tous, ont en commun d’avoir parcouru à un moment de leur vie la ville, sans pour autant nécessairement avoir écrit à son propos.
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La faculté des sciences de Rennes où étudie le jeune Louis-Ferdinand Céline. Carte postale. Collection particulière. |
C’est ouvrage est donc un volume à entrées multiples qui, de prime abord, se présente sous la forme d’une galerie de portraits richement illustrés par de belles photographies d’archives. Notons que certains textes permettent de redécouvrir des auteurs aujourd’hui tombés en désuétude ou au comportant une certaine part d’ombre. Si chacun connait le sulfureux Louis-Ferdinand Céline, qui se rappelle que l’auteur du Voyage au bout de la Nuit vit à Rennes de 1918 à 1925 ? (p. 19 et suivantes). De la même manière, si le centenaire de la Première Guerre mondiale remet dans l’actualité Georges Duhamel, Prix Goncourt 1918 pour Civilisation, qui sait qu’il se trouve à Rennes en juin-juillet 1940 soignant les blessés de la blitzkrieg, expérience dont il tire un ouvrage – Lieu d’asile – interdit par la censure de l’occupant ? (p. 73-78).
Les pages que livre Georges Guitton sont d’autant plus nécessaires qu’elles viennent combler certains troublants trous de la mémoire rennaise. Si la municipalité érige une Cité internationale Paul Ricoeur en plein cœur de la ville (p. 52-53), rares sont celles et ceux qui connaissent les liens du philosophe avec la capitale bretonne. De même, si le destin de Pierre Herbart reste largement méconnu, malgré une évocation bien venue dans le documentaire Après la guerre. Reconstruire la République réalisé en 2015 par Hubert Béasse, le portrait que propose cet ouvrage reste certainement, pour l’heure, l’étude de référence. Nous avions regretté que l’exposition que le Musée de Bretagne consacra en 2013 à la Beat génération fasse – coproduction internationale oblige – l’impasse sur le rocambolesque passage de Jack Kerouac à Rennes et en Bretagne : là encore, Georges Guitton permet de combler les lacunes d’une mémoire qui, décidément, se fait trop souvent oublieuse.
Ouvrir ce volume, c’est donc plonger dans un panthéon d’écrivains qui, tous, ont en commun Rennes, mais dont les postérités malheureusement varient. Aussi le livre se transforme-t-il en autant d’invitations à (re)découvrir des auteurs parfois oubliés, à l’instar du génial Robert Merle, auteur de l’excellent La Mort est mon métier. Semblable réflexion pourrait sans doute être formulée à propos du philosophe Emmanuel Levinas, détenu deux ans au Frontstalag de Rennes, avant d’être transféré en juin 1942 en Allemagne (p. 85-93).
Mais là n’est peut-être pas le plus saisissant pour qui connait la capitale bretonne et son histoire. Le plus remarquable est en effet que Georges Guitton donne réellement la ville à voir à travers ses portraits d’écrivains. Là où Paul Ricoeur nous montre en effet le zonage social à l’œuvre au sein des différents quartiers qui égrènent le chemin qui sépare son domicile de celui de sa future épouse (p. 51), Georges Duhamel nous invite à porter notre regard sur d’anodins bâtiments hospitaliers, vestiges anachroniques de la Seconde Guerre mondiale épargnés par l’architecture high-tech d’un centre hospitalier de pointe (p. 79-80). En définitive, si ce volume ne fait qu’augmenter le regret de voir disparaître l’espace éditorial unique qu’était Place publique Rennes, il n’en demeure pas moins un magnifique prolongement.
Erwan LE GALL
GUITTON, Georges, Rennes de Céline à Kundera, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
1 GUITTON, Georges, Rennes de Céline à Kundera, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses. |