Quand le soleil a rendez-vous avec la lune

Une éclipse est un phénomène astronomique aussi intrigant que fascinant. Lorsque l’évènement est sur le point de se produire, les journaux se mobilisent pour inciter leurs lecteurs à contempler le ciel. La tâche n’est pas si évidente lorsqu’il s’agit d’une éclipse lunaire, et il faut se montrer extrêmement persuasif pour extraire de leurs lits douillets les plus gros dormeurs. Durant l’entre-deux-guerres, L’Ouest-Eclair ne lésine pas sur les moyens et sollicite l’expertise de spécialistes. Le 1er avril 1931, un célèbre astronome, l’abbé Théophile Moreux, signe un éditorial dans lequel il rappelle qu’une « éclipse totale de lune bien visible en nos régions est un phénomène assez rare pour que vous ne perdiez pas l'occasion de l'observer, soit à l'œil nu, soit avec une simple jumelle de théâtre »1.

Carte postale. Collection particulière.

Réputé pour avoir publié de nombreux ouvrages de vulgarisation, Théophile Moreux poursuit son exposé en proposant une description très poétique de ce phénomène astronomique. Il conseille aux lecteurs de suivre

« avec attention le bord nettement circulaire de l'ombre de la Terre sur le disque de la Lune. Pendant les belles éclipses totales, ce bord est frangé des couleurs de l'arc-en-ciel, avec le vert comme ton dominant, tandis que la partie nettement dans l'ombre s'assombrit vers le rouge. Lorsque le temps est beau dans une grande partie de l'Océan Atlantique, le disque de la Lune, même au milieu de l'éclipse totale, ne disparaît pas complètement et notre satellite se présente sur la voûte céleste comme un gros charbon rougeoyant. »

Mais l’astronome ne souhaite pas seulement convaincre. Il désire, avant toute chose, éclairer les lecteurs bretons sur les mécanismes conduisant à ce phénomène. Ainsi, le 15 avril 1939, à l’occasion d’une éclipse partielle du soleil, il livre une explication concise et ludique qui permet de comprendre pourquoi les astres sont plus ou moins recouverts lors des éclipses.

« Pour mieux comprendre, faites l'expérience suivante : collez une pièce de 20 francs au mur de votre chambre. Puis, éloignez-vous à une faible distance et, de la main élevée à la hauteur d'un de vos yeux – pendant que l'autre sera fermé – tenez une pièce de 50 centimes. Vous ne tarderez pas à trouver une position telle que la pièce de 50 centimes parvienne à vous cacher exactement la pièce de 20 francs. A ce moment, allongez le bras, votre petite pièce deviendra insuffisante pour couvrir la surface de la grande ; vous apercevrez sur les bords une couronne d'autant plus étendue que vous éloignerez davantage la pièce de 50 centimes. La même circonstance se présente dans la nature lorsque la Lune est trop loin de la Terre pour cacher le disque entier du Soleil. Alors, les bords de celui-ci dépassent ceux de la Lune sous la forme d’un anneau lumineux et on dit qu’il y a éclipse annuaire. »2

Carte postale. Collection particulière.

En informant de cette manière le lecteur, la presse contribue très certainement à démystifier un phénomène qui suscita de nombreux fantasmes. N’est-ce pas d’ailleurs une providentielle coupure de presse qui sauve Tintin et ses amis du bûcher dans La Temple du Soleil ? Célébrant l’éclipse salvatrice, le capitaine Haddock entonne alors l’air de la chanson de Charles Trenet. Cette fois, le soleil a bien rencontré la lune !

Yves-Marie EVANNO

 

1 MOREUX, Théophile, « Observez la belle éclipse de lune du 2 Avril », L’Ouest-Eclair, 1er avril 1931, p. 1.

2 MOREUX, Théophile, « Les éclipses de soleil et leur mécanisme », L’Ouest-Eclair, 15 avril 1939, p. 3.