S'évader en l’an 2000 pour échapper à 1939

Onésime Chercheurdor aurait pu être l’un des plus grands savants de tous les temps. En 1940, il découvre un procédé révolutionnaire qui permet de transformer la vase en un métal « qui remplace avantageusement le radium »1. De la vase, il y en a plein le port de Vannes. Suffisamment pour métamorphoser la ville et en faire la deuxième de France, juste derrière Paris. En effet, soixante plus tard, en l’an 2000, la préfecture du Morbihan compte un « nombre important de buildings de 40 étages, plusieurs lignes de chemin de fer souterrain, le plus grand aéroport de France, reliant directement l’Ancien et le Nouveau contient ». Oui mais voilà, O. Chercheurdor est un personnage fictif et Vannes, en 2000, demeure une ville moyenne.

Carte postale. Collection particulière.

Imaginer la ville en l'an 2000, c'est le défi lancé par le Comité des fêtes du chef-lieu du département du Morbihan à l'occasion du carnaval de la mi-Carême 1939. Plus exactement, le thème est cette année : « Vannes s’amuse en l’an 2000 ! ». Les festivités prennent une tournure particulière, entre tradition et extravagante modernité. Le 19 mars, la reine, régulièrement élue, défile au milieu des déguisements et des chars les plus farfelus. Les plus emblématiques sont baptisés « L’eau de vie en l’an 2000 », « Elégantes en l’an 2000 », ou encore « Mars visite la Terre »...

Les membres du Comité des fêtes fourmillent d'idées d'animations. Ils lancent de nombreux concours dont celui consacré au fantasque Onésime Chercheurdor. Pour l'emporter, il suffit d’imaginer un poème qui décrirait le Vannes du futur. Il y a pourtant une contrainte, la composition doit pouvoir être chantée sur l’air de Y’a d’la joie de Charles Trénet, chanson populaire de cette fin de décennie. Par ce biais, les organisateurs souhaitent mettre en avant des « poètes à l’imagination étendue et d’une exubérante gaîté ».

La gaîté est justement le point sur lequel ils insistent tout particulièrement. Quelques mois après Munich, l'Europe connaît une nouvelle escalade de la violence en Tchécoslovaquie. Alors que l’Allemagne nazie polarise toutes les attentions, le Comité des fêtes décide de maintenir les festivités de la mi-Carême, convaincu que « la tâche qu’il assume en une époque qui ne s’y prête guère, [est] d’amuser une population calme »2. Tout est mis en œuvre pour que la fête soit grandiose. Ainsi, les organisateurs n'hésitent pas à faire venir de Nice :

« un wagon de la plus grand dimension possible, et pouvant porter jusqu’à 30 000 kilos, a été retenu à cet effet, et fait route sur notre ville. Il est complètement chargé de tous ces sujets burlesques et amusants, dont la dimension extraordinaire, et la confection artistique, attirent à Nice chaque année plusieurs centaines de milliers de touristes. »3

A Nice en 1939, le Carnaval. Collection particulière.

Malheureusement, malgré la présence d'une équipe de tournage, nous n'avons pas retrouvé les vidéos des festivités. De la même manière, les compositions des poètes en herbe ne nous sont pas parvenues. Impossible donc de connaître ce futur fantasmé, ce qui est toujours éclairant pour le lecteur de XXIe siècle. Après tout, ce qui importe ici, c'est certainement de voir que l'an 2000 constitue une formidable opportunité de s'extirper d'un présent angoissant.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Poètes à l’œuvre !!! », Le Progrès du Morbihan, 12 février 1939, p. 2.

2 « Après le défilé », Le Progrès du Morbihan, 26 mars 1939, p. 3.

3 « Tout comme à Nice », Le Progrès du Morbihan, 12 mars 1939, p. 2.