Se faire photographier en 1926

Au XXIe siècle, notamment grâce aux smartphones, prendre une photo est devenu un geste banal, presque quotidien. La mode du selfie le confirme, on peut se faire « tirer le portrait » n'importe où et n'importe quand, même dans le noir. Bref, il s’agit d’un geste du quotidien qui d’ailleurs n’est pas sans poser de problèmes aux historiens et aux archivistes : comment conserver ces clichés qui sont d’autant plus périssables que l’obsolescence programmée des terminaux va en s’aggravant ?

Carte postale. Collection particulière.

Face à ce qu’il convient bien de qualifier de frénésie photographique, on en oublierait presque que tout cela n'a pas toujours été aussi simple. C’est d’ailleurs ce que rappelle un article promotionnel paru dans L'Ouest Républicain du 25 novembre 1926 :

« Chacun sait que pour se faire photographier, il faut presque choisir son jour, un jour où il n'y ait pas trop de soleil, et encore faut-il qu'il fasse assez clair. »1

Si la photographie s'est considérablement développée et commence à se démocratiser – en témoignent les nombreux clichés pris par les soldats de la Grande Guerre –, il n'en demeure pas moins que posséder un appareil demeure encore un luxe dans les années 1920. Ceux qui souhaitent se faire photographier doivent bien souvent se rendre chez un professionnel qui dispose du matériel requis. En Bretagne, si les photographes sont suffisamment nombreux pour répondre à la demande, en revanche peu d'entre eux sont équipés des dernières évolutions technologiques.

En s'assurant un article dans la presse locale, le Lorientais Auffret réussit un véritable coup marketing afin de promouvoir son changement d'adresse. Il déclare qu'il vient de se doter d'un studio comme il n'en n'existe « qu'à Paris et dans les plus grandes villes ». Il prétend même que ses « lampes électriques » permettent d'obtenir une luminosité équivalente à « 24 000 bougies », soit un éclairage qui serait supérieur à « celui de la lumière solaire ». C'est, selon l'article, une véritable « révolution », puisque l'on « peut s'y faire photographier à n'importe quel moment de jour comme  de nuit ». Enfin, pour rassurer la clientèle, le photographe précise que son studio est

« doté de cabinets de toilette, de salons d'attente, de tout le confort désirable et souhaitable pour que toutes les Lorientaises s'y donnent rendez-vous pour obtenir des photographies, véritables œuvres d'art. »

Certes, il n'est pas tout à fait certain que les clients conçoivent leurs portraits comme une « œuvre d'art ». En revanche, il est probable que la photographie les fascine, tout comme elle continue de fasciner au début du XXIe siècle, tant elle a le pouvoir d'immortaliser un visage ou de capter un moment éphémère.

Une photographie prise à Lorient, à la fin des années 1920, dans un studio non identifié. Collection particulière.

Aussi futile puisse paraître cette publicité, elle offre un certain regard sur un aspect de la vie quotidienne des Bretons durant les années 1920. Qui plus est, si cet encart commercial est très certainement subjectif, il rappelle malgré tout à l'historien que les publicités s'avèrent être une source précieuse pour faire de l'histoire. Peut-être même plus précieuse au final que les clichés produits par ce photographe lorientais. En effet, dans son studio, que peut-il saisir du réel si ce n’est des scènes figées ?

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Une révolution à Lorient », L'Ouest Républicain, 25 novembre 1926, p. 3.