Toujours les mêmes !

Les tirages de la loterie, lorsqu’ils sont assortis d’importantes sommes pour les heureux gagnants, comptent assurément parmi les plus récurrents des marronniers. Il est vrai que le sujet ne manque pas d’intérêt pour les journalistes : il captive a priori tout le monde, à l’exception on suppose des personnes ayant fait vœu de pauvreté, et promet des reportages riches en émotions mêlant à la joie et l’incrédulité du/des vainqueur.s la déception et l’envie des autres. Le tirage de la « 5e tranche » de la loterie nationale à la fin du mois de janvier 1934 en est un excellent exemple.

Cliché lors du premier tirage de la loterie, en 1934. Carte postale, Collection particulière.

L’évènement se déroule à Paris, au Trocadéro, et bénéficie d’une couverture médiatique assez exceptionnelle dans laquelle L’Ouest-Eclair tient une place de premier plan. En effet, non seulement le quotidien breton l’annonce dans ses colonnes mais, de surcroît, le journal fait connaître dans les rues de Rennes, par haut-parleur, les résultats ! Pour ceux qui n’ont pas la chance d’habiter dans le chef-lieu d’Ille-et-Vilaine, ou qui se trouveraient trop loin des locaux du quotidien, il y a le transistor et Radio-Paris puisque le tirage est radiodiffusé1.

C’est à 20h30 que le moment tant attendu a lieu, suivant un cérémonial que le journal breton nous dit « coutumier », quoi que récent. Ce n’est en effet qu’en juillet 1933 qu’est instituée cette loterie nationale, au profit des anciens combattants et des victimes de la Première Guerre mondiale. Ceci explique d’ailleurs pourquoi les billets sont vendus « par les trésoreries générales, recettes de finances et perceptions, les bureaux de poste, les débits de tabacs, les banques et établissements de crédits et par certains groupements agricoles et associations d’anciens combattants spécialement désignés à cet effet »2. De même, c’est sans doute ce qui justifie la présence, en ce 30 janvier 1934, de deux pupilles de la Nation pour assister au tirage.

On imagine sans peine la fébrilité qui doit s’emparer de celles et ceux qui ont investi dans un de ces précieux sésames permettant de rêver. Il en est un pourtant qui ne semble pas emporté par la frénésie de la loterie, c’est le grand écrivain breton Roger Vercel, pas encore auréolé de son prix Goncourt mais déjà collaborateur régulier de L’Ouest-Eclair. En septembre 1933, quelques semaines avant que n’ait lieu le premier tirage, il publie en une un article aigre-doux dénonçant tant l’appât du gain, de la part des joueurs mais également de l’administration fiscale, que la propension à s’en remettre au hasard, celui-ci déplore-t-il d’ailleurs tenant « en ce bas monde une place considérable »3.

Billlet de loterie, 1934. Collection particulière.

Pour autant, peu importent les regrets du père du Capitaine Conan, le tirage a bel et bien lieu et décide de faire la joie de deux Marseillais et d’un « entrepreneur d’Aix-en-Provence ». Malheureusement, le hasard ne semble pas sourire à la Bretagne puisque manifestement aucun gagnant n’est recensé dans la péninsule armoricaine. Et L’Ouest-Eclair, bien mauvais perdant en cette occasion, de titrer rageusement : « la chance sourit toujours aux méridionaux ». Il est vrai que le premier vainqueur de la loterie nationale est, le 7 novembre 1933, un coiffeur de Tarascon…

Erwan LE GALL

1 « Ce soir, tirage de la 5e tranche », L’Ouest-Eclair, 36e année, n°13 699, 30 janvier 1934, p.6.

2 « L’organisation de la loterie nationale », L’Ouest-Eclair, 35e année, n°13 432, 16 août 1933, p. 3.

3 VERCEL, Roger, « Avant la loterie », L’Ouest-Eclair, 35e année, n°13 472, 25 septembre 1933, p. 1.