Un véritable Barnum à Rennes : lorsque le plus grand cirque du monde arrive en Bretagne

Le 21 mai 2017, après 146 années de succès, le cirque Barnum donne sa dernière représentation aux Etats-Unis1. C’est la fin d’une belle aventure qui a permis à cette institution d’obtenir une renommée internationale. Ancrée dans la culture populaire, l’enseigne américaine est ainsi à l’origine de l’expression française « Quel barnum ! », formule – certes désuète – qui évoque un état d’agitation, de désordre. Si Barnum possède aujourd’hui une telle notoriété, c’est probablement parce qu’il a profondément marqué les mémoires en organisant d’incroyables tournées européennes au début du XXe siècle. Il suffit en effet d’observer l’enthousiasme qui entoure l’arrivée du plus grand cirque du monde en Bretagne pour mesurer l’impact de ces spectacles dans l’imaginaire collectif.

Affiche pour le cirque Barnum. Library of Congress: LC-USZ62-24508.

Les 22 mai 1928 c’est l’évènement à Rennes : les trains de la compagnie Barnum viennent d’entrer en gare. Les plus anciens ont encore en mémoire le fabuleux tintamarre qui s’était répandu dans les rues de la ville en 1902 lors de la première visite du géant américain2. A l’époque, près de 1 500 personnes assistent émerveillés à l’arrivée des 67 wagons peints aux couleurs du célèbre cirque. Les Rennais ont alors conscience d’assister à un « spectacle curieux et certainement unique » comme l’assure L’Ouest-Eclair. Pour s’en rendre compte, il faut tenter de s’imaginer l’agitation qui anime les rues de la ville :

« Les attelages de huit ou dix chevaux, sortaient par la porte de la Petite Vitesse, côtoyaient l'Hôtel Parisien, et arrivaient sur la grande place dans ou ordre admirable. Les groupes d'éléphants conduits par leurs cornacs, les chameaux, les dromadaires ont le plus excité la curiosité des assistants. Sur tout le parcours de l'étrange défilé, fusaient les éclats de rire et partaient les exclamations […] Pendant que nous gagnons le Champ-de-Mars, nous entendons les rugissements des tigres et des lions dans les voitures de la ménagerie qui se trouvent reléguées presqu’au pont de Saint-Hélier. »3

Il n’est donc pas surprenant que, 26 ans plus tard, Barnum axe sa communication sur ce qui a fait sa notoriété : sa logistique. Les publicités publiées dans la presse locale insistent sur « son formidable matériel », à savoir « 3 pistes, 500 personnes, 200 chevaux et sa colossale ménagerie » composée de « 800 animaux »4.

Toutefois, il semble que l’effet de curiosité soit moindre en 1928 qu’il ne l’était en 1902 lorsque L’Ouest-Eclair lui consacrait sa une. Il faut très certainement y voir une forme d’accoutumance de la part du public à ce type de spectacle. En effet, le succès de la tournée  organisée par Barnum fait des émules au début du siècle et de nombreux grands cirques osent désormais organiser ces tournées couteuses5. C’est ainsi que les Bretons voient arriver, en 1905, le célèbre Wild West Show de Buffalo Bill et ses «  500 chevaux, […] 800 personnes » et ses « trois trains spéciaux »6.

Qu’à cela ne tienne, lorsque le plus grand chapiteau du monde s’installe dans une ville, sa réputation suffit à attirer la foule. Selon L’Ouest-Eclair, « jamais cirque de passage à Rennes n'obtint, dès la première représentation, un succès comparable à celui que remporta, mardi, la soirée du Barnum's Circus »7. Il faut dire que ce sont plus de 10 000 Rennais qui assistent à la première représentation donnée le 22 mai 19288. Le public n’est pas déçu puisque « le Barnum's Circus a ceci de particulier et d'intéressant qu'il ne présente aucun numéro médiocre. Tout est bon, d'un bout à l'autre du programme, tout plaît, charme et captive » selon le même journaliste du quotidien rennais.

Le programme est alléchant : jongleurs, acrobates, trapézistes, magiciens ou encore une troupe de « 25 clowns » ! Le journaliste de L’Ouest-Eclair est, pour sa part, impressionné par la place accordée aux « animaux dressés », ce « que l'on n'était plus habitué à voir ». Se succèdent en effet sur les trois pistes une « collection de chevaux, de poneys, d’éléphants, de bœufs, de lamas, de lions et de phoques »… Enfin, Barnum ne serait pas Barnum sans ses « phénomènes » et autres « curiosités »9. Ces derniers ne sont malheureusement pas décrits par le journaliste rennais. Ce devait pourtant être, comme 26 ans plus tôt, un spectacle particulièrement déroutant pour le public breton10. On le voit, chez Barnum, tout est dans la démesure, à hauteur de la réputation du cirque.

Affiche pour le cirque Barnum. Library of Congress: LC-USZC4-10499.

Le 24 mai 1928, le cirque américain quitte la ville après trois représentations. L’Ouest-Eclair félicite et remercie la direction du « Barnum's Circus de nous avoir procuré ce spectacle si captivant et si intéressant », et lui souhaite « de connaitre, aujourd'hui et demain, comme elle le connut hier, le grand succès ». Une conclusion que l’on ne peut désormais plus faire notre. Barnum est mort, vive le cirque !

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « After 146 Years, Ringling Brothers Circus Takes Its Final Bow », The New York Times, 21 mai 2017, en ligne.

2 La tournée française de 1902 visite 106 villes dont Nantes du 16 au 18 juin, Saint-Nazaire le 19, Vannes le 20, Lorient le 21, Quimper le 22, Brest les 23 et 24, Saint-Brieuc le 25, Rennes les 26 et 27, Saint-Malo le 28, et Fougères le 29. Sur le déroulement de la tournée, voir  DENIS, Dominique, « 1902 : La belle aventure française de Barnum & Bailey », Le Cirque dans l’Univers, n° 205, en ligne.

3 « Barnum à Rennes », L’Ouest-Eclair, 27 juin 1902, p. 1.

4 « Réservez-vous pour le Barnum’s Circus », L’Ouest-Eclair, 21 mai 1928, p. 5 ; « Cirque Barnum’s », L’Ouest-Eclair, 24 mai, p. 6 ; et « Barnum’s Circus », Le Progrès du Morbihan, 1er juillet 1928, p. 2.

5 Ce qui n’est pas sans risque. L’Américain Joseph Maccaddon, un ancien de la maison Barnum, en fait la triste expérience. En 1905, il décide de fonder son propre cirque afin d’organiser une vaste tournée en France. Il faut 76 wagons pour transporter les hommes, le matériel et les animaux ! Le pari est trop ambitieux et le cirque Maccadon fait finalement faillite après seulement quelques mois d’exploitation.

6 « Buffalo Bill à Lorient », La Croix du Morbihan, 10 septembre 1905 ; et « Buffalo Bill », Le Moniteur des Côtes-du-Nord, 9 septembre 1905.

7 « La première du Barnum’s Circus », L’Ouest-Eclair, 23 mai 1928, p. 5.

8 Le chapiteau peut accueillir jusqu’à 12 000 personnes ! A titre de comparaison, le chapiteau utilisé par le cirque Pinder pour sa tournée 2017 possède une capacité de 1 450 places… « Pinder plante son chapiteau au parc des Expositions », lanouvellerepublique.fr, 17 janvier 2017, en ligne.

9 « Barnum’s Circus », Le Progrès du Morbihan, 1er juillet 1928, p. 2.

10 En 1902, Barnum présente notamment Sol Stone, le calculateur éclair, et Alphonso, l’homme à l’estomac d’autruche. Sur ce point voir  DENIS, Dominique, « 1902 : La belle aventure … », art. cit.