" /> Une certaine idée de la jeunesse. A propos d’une chronique de 1927
 

Une certaine idée de la jeunesse. A propos d’une chronique de 1927

En 2012, la mort d’un adolescent américain lors d’une fête sauvage organisée dans une maison abandonnée interpelle l’opinion sur les pratiques festives des jeunes. Inspirées du film hollywoodien Projet X, ces soirées se multiplient en effet dans le reste du monde, notamment en France à l’aide de réseaux sociaux1. Ce qui choque alors, c’est de constater que derrière chaque dégradation il y a un propriétaire désemparé. Œuvre d’une génération inconsciente ou simple transgression inhérente à la jeunesse ? Il y a là un éternel – et très stérile – débat qui consiste à voir un délitement inexorable de la société. Un jugement qui se résume à l’expression : « c’était mieux avant ».

Carte postale. Collection particulière.

Cette dualité n’est pas nouvelle. Des zazous aux hippies, en passant par les blousons noirs, la jeunesse semble cristalliser les angoisses de leurs aînés. En 1927, un chroniqueur breton du Nouvelliste du Morbihan rédige un article à charge en s’interrogeant sur les pratiques festives de la jeunesse mondaine de son époque. Il revient tout d’abord sur la mode de la « Surprise-Party », « cet amusement plutôt stupide » venu tout droit des Etats-Unis2. Il juge avec mépris une pratique qu’il explique en quelques lignes :

« il consistait pour les jeunes gens de la Société à envahir brusquement et sans avis préalable, la demeure d’un ami entre minuit et deux heures du matin, à le forcer à se lever, ainsi que sa famille, et à lui faire partager dans sa salle à manger, les victuailles et vins fins apportés et même son thé, ses liqueurs et son champagne. C’est tout juste si on n’occupait pas son lit. »

Mais l’auteur ne s’attarde pas sur cette pratique qu’il estime dépassée. Selon lui, une nouvelle « mode » est train de naître auprès des jeunes mondains. Il s’agit d’un jeu sobrement intitulé « jeu du rendez-vous ». Ce dernier met en scène deux individus qui signent un accord déterminant un rendez-vous dans « cinq, six, dix, quinze ou vingt ans », le lieu de la rencontre et le gage qui sera à honorer. Mais derrière cette idée qui semble bienveillante, le chroniqueur assure qu’il y a un jeu cruel. Aussi surprenant puisse-t-il paraître, le Breton affirme que ce jeu

« nous fera connaître trop tôt notre décrépitude ou nos misères, qui prétend nous amuser avec les caprices du Destin et mettre comme témoin de notre inévitable marche vers la Mort, des yeux qui nous ont peut-être aimés ! »

Groupe de jeunes femmes. Carte postale. Collection particulière.

En définitive, il nous semble difficile d’estimer le véritable degré de sincérité de cette chronique. Faut-il y voir une pure critique de la jeunesse ou simplement un prétexte pour placer une formule bien trouvée ? Ne faut-il pas plutôt y déceler la critique de la mondanité et des jeunes bourgeois ? Une hypothèse qui n’est pas sans fondement dans la mesure où le journal est publié à Lorient, au cœur d’une région industrialisée et largement acquise au socialisme3. Toujours est-il que l’auteur était loin de s’imaginer que cette promesse de rendez-vous convenu donnera lieu à l’un des plus gros succès musical du début des années 1990. Mais cela est une autre histoire.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Alcool, vandalisme et réseaux sociaux... les "projets X" font fantasmer les ados », lemonde.fr, 25 juin 2012.

2 « Les idées d’Yannick », La Nouvelliste du Morbihan, 29 avril 1927, p. 2.

3 Sur ce point voir EVANNO, Yves-Marie, « Le Morbihan contre le Front populaire ? », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François (dir.), C'était 1936. Le Front populaire vu de Bretagne, Rennes, Editions Goater, 2016, p. 78-101.