A ne pas manquer : Terre-Neuve / Terre-Neuvas

Nous avions déjà pu apprécier à l’occasion de l’installation sur la Beat Generation tout l’intérêt d’un travail réalisé avec plusieurs institutions muséales de premier plan. On ne peut que mesurer avec cette exposition Terre-Neuve / Terre-Neuvas l’intérêt d’une telle mutualisation des moyens, des compétences et des mémoires. Car l’aventure de la Grande pêche n’est pas qu’une affaire malouine ou granvillaise. Elle concerne tout un espace que l’on pourrait qualifier de « Baie du Mont Saint-Michel élargie », recouvrant d'ailleurs peu ou prou le territoire de la 10e région militaire en partant de Cherbourg jusqu’au Trégor.

Or ce sont justement quatre institutions muséographiques – le Musée de Bretagne à Rennes, le Musée d’art et d’histoire à Saint-Brieuc,  le Musée d’histoire à Saint-Malo et le Musée du Vieux Granville – qui se sont associées pour produire un diptyque d’expositions qui, de par sa structure, est une magnifique allégorie de l’odyssée terre-neuvienne. En effet, si l’exposition qu’accueille le Musée de Bretagne à Rennes – du 19 octobre 2013 jusqu’au 19 avril 2014 – se focalise essentiellement sur la pêche et sur les conditions de travail dantesques qu’impose le métier, celle présentée à Saint-Brieuc – également du 19 octobre 2013 jusqu’au 19 avril 2014 – s’intéresse à l’absence des hommes, partis travailler pendant plusieurs mois sur les bancs. Il y a là une dualité particulièrement intéressante, qui à elle seule dit bien la complexité de cet objet historique qu’est la Grande pêche. Ces deux expositions navigueront ensuite jusqu’à Saint-Malo et Granville, autres villes partenaires de la démarche.

On le voit, c’est donc sur une structure particulièrement originale et stimulante qu’est construit ce diptyque. Mais qu’en est-il pour le visiteur ? Inutile de laisser planer trop longtemps le suspens : l’exposition du Musée de Bretagne à Rennes est tout simplement époustouflante. L’entrée dans la grande salle coupe réellement le souffle tant le visiteur est plongé dans une profusion d’objets et de vidéos, le tout dans une ambiance bleutée censée rappeler l’iode bien sûr mais, couleur froide oblige, la glace, omniprésente. A dire vrai, seul le brouillard, pourtant particulièrement dense à Terre-Neuve, manque !

La muséographie de l'exposition est réellement remarquable. Cliché E. Le Gall.

La muséographie est ici d’autant plus intéressante qu’elle est au service des objets présentés qui sont, tant dans leur diversité que dans leur intérêt patrimonial, d’une grande valeur. La série de maquettes des navires ayant pratiqué à la grande pêche est à la fois émouvante – nombre de ces items ayant été fabriqués par d’anciens marins – et très didactique. La manière dont sont exposées les cartes marines est également d’un grand intérêt et contribue, entre autres, à rappeler la beauté graphique de ce qui, par bien des aspects, s’apparente à de véritables œuvres. Mais c’est probablement sur les objets du quotidien – cirés, bottes, hameçons, … – que le travail réalisé nous parait le plus remarquable, contribuant ainsi à patrimonialiser des sources qui ne sont pas nécessairement toujours considérées à leur juste valeur. C’est là d’ailleurs tout l’intérêt de cette association à quatre institutions muséographiques puisque le préliminaire de ces expositions fut une gigantesque collecte d’archives privées, d’autant plus fructueuse qu’elle s’est déroulée sur un territoire vaste.

Une présentation qui met parfaitement en valeur les objets du quotidien de la Grande pêche. Cliché E. Le Gall.

Cette exposition est donc une véritable réussite, une merveille visuelle et pédagogique servie, de surcroît, par un très beau – et abordable – catalogue. On a tout particulièrement apprécié le primat de l’histoire sociale qui semble ici avoir guidé les commissaires. Nous ne pouvons donc que vous conseiller d’aller voir et revoir cette magnifique exposition – en attendant de pouvoir vous parler de celle présentée à Saint-Brieuc – qui, gageons-le, donnera envie à de nombreux visiteurs de se plonger dans les sublimes romans de la Grande pêche de Roger Vercel, En dérive, La Caravane de Pâques ou encore Au large de l’Eden.

Erwan LE GALL