Quand les archives arrivent après coup

J’ai eu l’immense plaisir de voir mon article sur les trois officiers du 47e régiment d’infanterie traduits en conseil de guerre en 1906 à la suite de l’inventaire des biens de l’église de Saint-Servan accepté par les membres du comité éditorial d’En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne (mon suffrage étant naturellement suspendu pour la circonstance).

Le commandant Héry. Portrait publié dans l'ouvrage de Louis Héry relatant l'affaire de l'inventaire de Saint-Servan.

Ce papier a d’ailleurs été publié dans le numéro 1, accessible librement sur ce même site. J’en suis d’autant plus satisfait qu'il résulte d’une longue enquête menée à partir de fonds d’archives totalement inédits.

Mais comme bien souvent, ce n’est qu’après avoir achevé la rédaction de cette étude que j’ai découvert, complètement par hasard, cette nécrologie du commandant Héry parue au début de l’année1915 dans la Revue antimaçonnique. Il est toujours assez frustrant de procéder à de telles découvertes une fois le travail fini même si, en l’occurrence, cette nouvelle pièce ne change aucunement notre compréhension de l’événement. Néanmoins, je souhaite porter à la connaissance des lecteurs d’En Envor ce document afin non seulement d’être le plus exhaustif possible mais de bien se rappeler que l’Union Sacrée tant célébrée de 1914 n’est bien souvent qu’une posture, de surcroît limitée aux seules travées du Palais Bourbon.

« Qui ne se rappelle des officiers qui préférèrent briser leur épée, aux heures terribles du Combisme, plutôt que d’obéir aux ordres d’un Mœrdès et de faire enfoncer les portes des églises du Christ ?... Ils furent un certain nombre – moins, peut-être, qu’il n’eut été désirable – à libérer ainsi leur conscience ; mais nul ne mit dans son refus plus d’éclat, plus de fougue que le commandant Héry.

Frappé de toutes les rigueurs du pouvoir, chassé de l’armée, déchu de son grade, il apporta à la Ligue française antimaçonnique le concours de son dévouement et devint le délégué général de nos sections de Bretagne. C’était encore servir la France…

La guerre devait le rendre à cette armée qu’il avait aimée passionnément. Il reprit du service et trouva une mort glorieuse au lendemain de la victoire de la Marne. Ayant à entraîner son bataillon, sous un feu d’enfer, à la conquête d’un passage difficile, il s’élança le premier en criant : « Il n’y a pas de Prussiens qui tiennent, il faut passer ! En avant ! » Sa mort paya le succès de nos armes.

Digne fin du brave soldat dont nos amis ont entrevu maintes fois, à la tribune de nos réunions, la silhouette martiale. »

Publié dans une revue dont le titre résume explicitement le programme, ce texte est intéressant en ce qu'il permet également de s'interroger sur une devise née de la Première Guerre mondiale stipulant que les hommes doivent être unis comme au front. Là encore, le discours parait différer de la réalité telle quelle émane des archives. En effet, il n'est pas certain que tous les soldats perçoivent la mort de leurs compagnons d'armes sur le champ de bataille à la manière d'une rédemption, d'une sorte de martyre, comme le suggère cet article. Avec cette nécrologie, c'est en réalité la question de la signification de la Première Guerre mondiale qui se pose, signification qui n'était pas nécessairement la même pour tout le monde. Là une importante clef d'une impossible sortie de guerre dont les conséquences seront funestes.

Erwan LE GALL