Bretons en Afghanistan

Dire que le livre que publie le colonel Stéphane Bras à propos de son expérience en Afghanistan en 2010 à la tête d’un détachement de gendarmerie appelé Police Operational Mentoring and Liaison Team est de ceux qui marquent est une évidence1. Nous avions déjà beaucoup apprécié les souvenirs du sergent Tran Van Can lors de leur sortie2, volume présentant la vision d’un chef de groupe de combat du 21e RIMA et offrant donc une vision au ras du champ de bataille. Le propos du colonel Bras est lui situé à un échelon de hiérarchie plus élevé, délivrant dès lors un regard légèrement différent mais ô combien intéressant, surtout lorsque replacé dans le temps long. Car, et c’est sans doute là ce qui rend cet ouvrage aussi passionnant, c’est au prisme de la Première Guerre mondiale que nous avons lu ces captivants souvenirs.

Groupe d'Afghans dans la Kapisa. Wikicommons.

En effet, il est question ici d’unités bretonnes, à savoir deux escadrons de gendarmerie présentés comme étant de Rennes et de Pontivy. Or, comme en 1914, la bretonnité de ces entités interroge3. En effet, il apparait au fil du texte que les cadres de ces unités proviennent d’horizons aussi divers que l’Alsace, la Gironde, le Midi-Pyrénées ou encore la Bourgogne (p. 24) et que ces escadrons « de Rennes » et « de Pontivy » sont déployés lors des mois qui précèdent cette mission afghane sur des théâtres aussi éloignés de la péninsule armoricaine que la Corse, la Guyane ou encore la Martinique (p. 27). Pourtant, c’est bien en Bretagne que s’inscrit cette POLMT, comme en témoigne le Gwen Ha Du, faisant face au drapeau tricolore, déployé au sein du camp de base en Kapisa (p. 125).

Cette permanence sur le temps long de la nécessité pour une unité de pouvoir se revendiquer d’un terroir connoté positivement tranche singulièrement avec les modalités d’entrainement de ces gendarmes, (heureusement !) en complète rupture avec ce que l’on peut observer lors de l’entrée en guerre en 19144. Si l’instruction de la Belle époque repose sur une vision fantasmée de la guerre, le livre du colonel Bras témoigne à ce propos du constant souci de réalisme dans l’entraînement des troupes alors que, pour cette mission, et de son aveu même, tout était à inventer. L’auteur ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il rappelle avoir « repris à zéro l’instruction et l’entraînement des gendarmes, en posant le principe que nous partions sur une mission nouvelle » (p. 33), évolution impliquant « une véritable révolution intellectuelle » pour les hommes (p. 35). Et c’est d’ailleurs avec le plus grand intérêt que l’on découvre à ce propos une inspiration surprenante : « quelques anciens, rencontrés à l’occasion de cérémonies ou de commémorations sur la place de Rennes, nous ont fait part de leur souvenirs d’Indochine » (p. 20).

Pour autant, tout n’est pas idéal. Et c’est là l’une des forces de l’ouvrage du colonel Bras que de pointer certaines difficultés qui, là encore, ne sont pas sans évoquer l’entrée en guerre en 1914, période que l’on sait caractérisée par de nombreuses difficultés dans la liaison interarmes. Cette dimension est dans cet ouvrage régulièrement présente, du rappel fréquent de la dimension militaire et donc combattante du gendarme (p. 28, 35) à l’insertion des POLMT dans le dispositif général d’intervention sous mandat de l’OTAN (p. 53). Et, loin des visions parfois angéliques véhiculées par les médias, ce sont des relations parfois crispées avec l’allié américain qui se dévoilent ici : « de fait, leur confiance envers nos capacités, pourtant officiellement annoncée, trouve ses limites dans la pratique » (p. 49).

En Afghanistan. Wikicommons.

Mais là n’est certainement pas l’enseignement majeur de cet ouvrage. En effet, comme les poilus de 1914-1918, ces POLMT en mission extérieure ont besoin de se sentir soutenus. On se souvient à ce propos de la vieille antienne des combattants de la Grande Guerre à propos de l’arrière : « pourvus qu’ils tiennent ! ». Or, on est frappé de voir ici combien le lien armée-nation – qu’on ne cesse pourtant de promouvoir à grands coups d’opérations ventant le devoir de mémoire – est en réalité ténu, pour ne pas dire distendu, ce qui en définitive pèse sur le moral des troupes. Le colonel Bras est à ce propos particulièrement explicite lorsqu’il souligne combien le choix politique du retrait des troupes d’Afghanistan a pu être considéré comme un désaveu (p. 18) mais également lorsqu’il dévoile l’immense décalage qui peut exister entre les hommes de terrain et le commandement. On passera sur  les quelques lignes concernant les « embusqués d’Afghanistan » (p. 157-158), qui ne dépailleraient pas sous la plume d’un Dorgelès ou d’un Genevoix, pour s’attarder sur un passage particulièrement éclairant, mettant de toute évidence les effets pervers de la doctrine du « zéro mort » (p. 60).

En définitive, avec ce POLMT, les éditions Anovi publient un témoignage qui, assurément, comptera dans l’historiographie de ce conflit en Afghanistan. Mais, plus encore, si l’ouvrage du colonel Bras est si essentiel, c’est qu’il offre une passionnante réflexion sur l’homme en guerre. Un luxe à ne pas négliger dans notre société quasiment complètement démilitarisée mais évoluant pourtant dans un monde grandement instable.

Erwan LE GALL

BRAS, Stéphane (colonel), POMLT Gendarmes en Afghanistan, 2010, Chinon, Anovi, 2014.

 

 

1 BRAS, Stéphane (colonel), POMLT Gendarmes en Afghanistan, 2010, Chinon, Anovi, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 TRAN VAN CAN, Christophe (avec MINGASSON, Nicolas), Journal d’un soldat français en Afghanistan, Paris, Plon, 2011.

3 Sur cette question on se permettra de renvoyer notamment à LE GALL, Erwan, « Saint-Malo, la Bretagne, la France : des multiples inscriptions territoriales du 47e régiment d’infanterie », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 63-79.

4 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.