En mission avec Pierre Coatpéhen

Les souvenirs de guerre du regretté Pierre Coatpéhen, décédé en 2004, que publient les éditions Locus Solus raviront plus d’un lecteur1. Chacun trouvera dans ce beau volume, doté d’une mise en page claire et moderne ainsi que d’attractifs cahiers iconographiques, un récit haletant, celui d’un pionnier de la France libre, d’un jeune ouvrier de 18 ans parti de Brest le 18 juin 1940 et parvenu cinq ans plus tard jusqu’au Nid d’Aigle via Strasbourg, Paris, l’Afrique et la Grande-Bretagne. Et l’on se demande d’ailleurs pourquoi cet ouvrage s’intitule En mission avec la 2e DB. De la libération de Paris au Nid d’Aigle puisque l’engagement de Pierre Coatpéhen est bien antérieur au 25 août 1944…

Le Romilly en août 1944, au bois de Boulogne. Pierre Coatpéhen à droite sur la photo. Archives privées famille Coatpéhen / Locus Solus.

Ceci dit, il n'en demeure pas moins que le plus large public revivra avec plaisir l’épopée des hommes de Leclerc qui, d’abord réunis au sein de la force L forment ensuite la légendaire 2e division blindée. Outre une odyssée fantastique, ce récit est un excellent de (re)découvrir la guerre des chars à bord du Romilly tant le texte fourmille d’informations techniques de grand intérêt, notamment pendant les difficiles combats des Vosges, lors de l’automne 1944.

De même, on ne saurait trop conseiller ces mémoires de Pierre Coatpéhen aux étudiants et autres amateurs d’histoire en ce que ce texte, rédigé très tardivement, est une parfaite illustration du phénomène dit de reconstruction de mémoire. Mélangeant les niveaux de narration, l’auteur accumule en effet les anachronismes comme lorsqu’il raconte – en des lignes par ailleurs passionnantes – son embarquement pour une destination inconnue en juin 1940 à Brest sous l’œil du « colonel Magrin-Vernerey, dit général Monclar » (p. 10). Or chacun aura bien évidemment noté qu’à ce moment Magrin-Vernerey n’est ni général ni Monclar, puisque ce n’est qu’une fois nommé par le général de Gaulle chef de la 1e brigade de Légion française qu’il prend ce pseudonyme. Il en résulte qu’il est parfois difficile le tri entre ces différentes couches mémorielles mais, encore une fois, on aurait grand tort de faire l’économie de cet ouvrage.

L’un des aspects qui frappe le plus dans ce texte est le lien très fort de l’auteur à sa petite patrie, à savoir les environs du Relecq-Kerhuon, commune nichée sur l’Elorn à quelques encablures de Brest. Parti à 18 ans de chez lui, la guerre de Pierre Coatpéhen s’apparente en effet aussi à une découverte du monde : la Grande-Bretagne on l’a dit mais aussi l’Afrique, Paris, l’Alsace puis l’Allemagne sont à chaque fois l’occasion de passages qui s’apparentent à une certaine forme de tourisme (p. 19 notamment). Là encore, il n’y a au final rien d’étonnant de la part d’un jeune homme qui voit par l’intermédiaire de la France libre son horizon s’élargir considérablement. Pour autant tout cela souligne la permanence des références à la Bretagne, dimension qui est perceptible dans les nombreux portraits de Français libres qui jalonnent le texte : un tel est d’Audierne, un autre de Saint-Brieuc, Brest, Pontivy… Mais le sommet est sans doute atteint lors d’une rencontre fortuite à Pointe-Noire, au Congo, avec une femme du Relecq-Kerhuon ! (p. 18-19). D’ailleurs, au Maroc, Pierre Coatpéhen confesse que ces évocations de la petite patrie – qu’il serait intéressant de mettre en rapport avec des statistiques précises concernant l’origine géographique des membres de la compagnie au sein de laquelle sert l’auteur – « font beaucoup de bien après tant de mouvements depuis 1940 » (p. 33).

Au bois de Boulogne en août 1944. Archives privées famille Coatpéhen / Locus Solus.

Les spécialistes de la France libre savent que cet ouvrage n’est pas la première version des mémoires de Pierre Coatpéhen. Celles-ci sont en effet parues en 2004 et le texte édité par Locus Solus est en fait une création hybride, assurée par la veuve de l’auteur, compilation des mémoires originales et de passages écrits pour un volume sur la guerre des chars. Pour autant, là encore, on aurait tort de laisser de côté ce livre. En effet, si Pierre Coatpéhen ne tarit pas d’éloge sur son chef, le général Leclerc (il « a le génie de toujours se trouver au point névralgique » p. 67), dont on sait par ailleurs toute la mystique qui l’entoure, certains passages sont au contraire rares en ce qu’ils dévoilent une autre facette de la France libre, sans doute plus humaine, en un mot plus normale. C’est ainsi que sont évoqués dans cet ouvrage des vols d’effets personnels (p. 11, 32, 121), le viol d’une jeune anglaise par des légionnaires (p. 12) ou encore des comportements peu corrects à l’endroit des populations civiles allemandes (p. 118) au moment de la découverte du camp de Dachau. En définitive, ces mémoires de Pierre Coatpéhen que publient les éditions Locus Solus sont un texte riche, autorisant de nombreux niveaux de lecture, et qui devraient donc ravir un public nombreux.

Erwan LE GALL

COATPEHEN, Pierre, En mission avec la 2e DB. De la libération de Paris au Nid d’Aigle, Lopérec, Locus Solus, 2014.

 

 

1 COATPEHEN, Pierre, En mission avec la 2e DB. De la libération de Paris au Nid d’Aigle, Lopérec, Locus Solus, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.