Hervé Retureau sur les traces du Tigre en Vendée

Georges Clemenceau est décidément une figure complexe, quasiment insaisissable tant elle est riche de contradictions. Républicain intransigeant à la laïcité rigoureuse, il n’en demeure pas moins intimement lié au très catholique département qu’il l’a vu naître, grandir, passer ses temps libres et où, enfin, il repose : la Vendée. C’est précisément cette relation à ce territoire qu’Hervé Retureau, doctorant en histoire et président de la vénérable société savante Olona, explore dans un charmant petit livre qui sera d’une grande utilité à celles et ceux qui envisageraient un pèlerinage sur les terres du Tigre1.

Carte postale. Collection particulière.

Simple, le propos de l’ouvrage se développe en trois temps, ou plutôt en trois espaces vendéens ayant marqué la vie de celui qui reste encore aujourd’hui dans bien des mémoires le « Père la Victoire ». Il y a d’abord Mouilleron-en-Pareds, « berceau natal et familial de Georges Clemenceau » (p. 6). Si le village s’enorgueillit aujourd’hui de la réussite de celui qui y naît le 28 septembre 1841, les relations ne sont pas toujours aussi clémentes. Venu au monde dans une demeure située rue de la Chapelle (p. 8), le Tigre cristallise les oppositions par son anticléricalisme et l’auteur raconte que « alors qu’il traversait la grand’rue de Mouilleron en 1906, les volets s’étaient fermés les uns après les autres sur son passage » (p. 9). On est alors en effet aux lendemains de la crise des inventaires des biens de l’Eglise, moment où la tension sur la question religieuse est à son maximum.

Le contraste est saisissant avec Saint-Vincent-sur-Jard où, âgé et vainqueur de la Grande Guerre, Clemenceau prend du repos dans une « bicoque » de pêcheur, face à la mer (p. 32 et suivantes). On y découvre alors un autre homme, lecteur insatiable et travailleur infatigable (au moins 16 heures par jours ! p. 35), ami d’artistes tels que Claude Monet (p. 32) ou Pierre Loti (p. 42). C’est une facette plus subtile – mais toute aussi complexe – qui se dévoile ici, l’âpreté du débat politique ne laissant que trop peu d’occasions au sens de la nuance pour s’exprimer.

Il y a enfin « le temps du repos éternel », Mouchamps, là où Clémenceau est inhumé, aux côtés de ce père qui, tout au long de sa vie, fut une référence, un véritable modèle. La sépulture est simple et contraste non seulement avec les éminentes fonctions occupées par Clemenceau mais avec la mémoire qui, très tôt, se développe autour de cette tombe. Du général De Gaulle, qui s’y rend en 1946, alors que le maréchal Pétain est interné à quelques kilomètres de là sur l’île d’Yeu, au Premier ministre Manuel Valls en 2013, en passant par Edouard Herriot en 1955 et François Mitterrand en 1987, on mesure alors pleinement la puissance symbolique du Tigre.

Carte postale. Collection particulière.

Ni une biographie politique ni une analyse de la diplomatie du « Père la Victoire », le livre d’Hervé Retureau est une invitation à partir sur les traces d’un homme finalement assez méconnu au regard de la trace qu’il a laissé dans l’histoire. Richement illustré et intelligemment composé, le pari est doublement tenu. Ce volume donne en effet non seulement envie d’explorer les heures vendéennes du Tigre mais de se plonger plus généralement dans cette vie qui, par bien des égards, permet de comprendre la France, et bien des questions qui intéressent au premier plan la Bretagne, des années 1880-1920.

Erwan LE GALL

RETUREAU, Hervé, Clemenceau en Vendée, Geste Editions, La Crèche, Geste éditions, 2016.

 

 

 

1 RETUREAU, Hervé, Clemenceau en Vendée, Geste Editions, La Crèche, Geste éditions, 2016. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.