Histoire d’archives

Les noms de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos ne disent aujourd’hui plus grand chose au grand public même si les préceptes de leur école historique, dite méthodique, sont toujours d’une grande actualité : confronté à un document, le chercheur doit en faire la critique externe et interne. La formule est connue mais pourtant il n’est pas toujours évident de replacer la source dans son environnement d’origine et de déterminer le chemin qui mène de sa production à sa consultation. C’est que l’histoire des archives n’est au final pas si développée que cela, contrairement à celle des bibliothèques par exemple qui a suscité plus de travaux, et on ne peut que rendre grâce à B. Fonck et A. Sablon du Corail de proposer aux Presses universitaires de Rennes un passionnant volume collectif s’attachant à ce moment si délicat qu’est 19401.

En effet, pour quiconque travaille sur la période 1939-1940, et sur la Seconde Guerre mondiale en général, ce livre risque de s’avérer rapidement très indispensable. Divisé en deux parties, cet ouvrage entend d’abord dresser un panorama des « collections dans la tourmente » et le moins que l’on puisse dire est que le propos est, nous semble-t-il, très neuf. Passionnant est ainsi le texte de W.-H. Stein qui détaille l’attitude allemande face aux archives militaires françaises, comportement qui, au final, oscille entre respect des conventions de La Haye et prise en main directe dans un but évident de recherche d’efficacité dans le renseignement (p. 58). C. Oppetit s’intéresse pour sa part au sort des Archives nationales pendant la Seconde Guerre mondiale (p. 97-103) tandis que V. Challéat-Fonck livre un très stimulant examen des archives départementales du Vaucluse dans la période 1938-1940, en se basant notamment sur l’exceptionnel  journal de guerre de l’archiviste départemental, Hyacinthe Chobaut (p. 127-143).

Le dépot des archives départementales du Vaucluse au Palais des Papes à Avignon présente pendant la Seconde Guerre mondiale un intérêt intestimable selon V. Challéat-Fonck pour les lecteurs: il est chauffé! (p. 140). Wikicommons.

L’intérêt de cet article dépasse d’ailleurs de loin le cadre de la seule histoire des archives. Bien entendu, on aimerait pouvoir bénéficier de telles synthèses pour les services des départements bretons. Pour autant,  la manière dont l’auteur explique comment cette institution s’adapte « à une nouvelle France » (p. 136) nous semble être particulièrement intéressante pour qui travaille sur les modalités de l’occupation et du fonctionnement du gouvernement de Vichy. Le cas du Vaucluse, probablement particulier tant il est suspect de fidélité à la République aux yeux de l’Etat français, montre pourtant que « dans les faits les évènements du printemps 1940 ne représentent pas un réel bouleversement dans l’actualité quotidienne des services » (p. 143).

La seconde partie de l’ouvrage s’intéresse à une archive essentielle de ce second conflit mondial, le témoignage. Sans doute plus convenue dans la mesure où il s’agit d’un sujet déjà bien balayé par l’historiographie, celle-ci propose néanmoins d’utiles mises au point comme dans le texte de que F. Passera consacre aux témoignages publiés de la guerre 1939-1940 (p. 179-199), article qui expose que dans les textes publiés au cours des années 1940-1944 l’explication de la défaite – causes militaires ou morales – varie suivant l’engagement politique de l’auteur.

Au final on pourra certes reprocher à ce volume des articles inégalement aboutis, il n’en demeure pas moins qu’il y a là une somme relativement indispensable pour qui souhaite rendre son travail sur la Seconde Guerre mondiale plus « méthodique ». Plus qu’un simple recueil d’archivistique, c’est bien d’un livre d’histoire des archives qu’il s’agit et, si l’on peut se permettre, du meilleur cru tant les pistes d’analyses soulevées par la première partie sont nombreuses. Et en cette année de centenaire de la Première Guerre mondiale, on se surprend à vouloir proposer aux deux co-directeurs de l’ouvrage de poursuivre leur travail en se penchant désormais sur 1914...

Erwan LE GALL

FONCK, Bertrand et SABLON DU CORAIL, Amable (dir.), 1940. L’empreinte de la défaite. Témoignages et archives, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

 

1 FONCK, Bertrand et SABLON DU CORAIL, Amable (dir.), 1940. L’empreinte de la défaite. Témoignages et archives, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.