Seignobos meurt à Sorbonne-plage

La nouvelle est publiée dans les colonnes de L’Ouest-Eclair le 28 avril 1942, alors qu’en réalité elle remonte à quatre jours : le grand historien Charles Seignobos s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-huit ans. C’est en Bretagne, en sa résidence de Ploubazlanec, petite commune des Côtes-du-Nord surnommée Sorbonne-Plage tant elle est fréquentée par de nombreuses personnalités éminentes du monde des lettres, de la politique et des sciences, que le chef de file de l’école méthodique, avec Charles-Victor Langlois, s’éteint.

Né en 1857, Charles Seignobos est en quelque sorte consubstantiel de la Troisième République. Elève à l’Ecole normale supérieur de Fustel de Coulanges et Ernest Lavisse, avec qui il publie en 1921 une histoire de la France contemporaine, il est reçu premier à l’agrégation d’histoire et débute une brillante carrière universitaire après un séjour de deux ans en Allemagne. Mais surtout, pacifiste convaincu, il s’engage dans les combats de son temps et se distingue par ses forts sentiments  républicains. Le courant historique dont il est un représentant, l’école dite méthodique, renvoie d’ailleurs à ces engagements et n’est pas sans faire écho à la laïcité et au positivisme.

A Lamastre, petit village d'Ardèche où nait Charles Seignobos, la statue érigée en mémoire du maître. Carte postale, collection particulière.

 

On pourra s’étonner de la sècheresse du billet publié dans le quotidien rennais. Mais peut-être que ce journal local n’est pas le plus qualifié pour dresser une nécrologie exhaustive de l’éminent intellectuel… De même, probablement que compte tenu des rigueurs de l’occupation allemande et de l’engagement très précoce – il compte parmi les premiers dreyfusards – de Charles Seignobos en faveur de la Ligue des droits de l’homme, association au sein de laquelle il côtoie Victor Basch, il était difficile de présenter un article déviant de la stricte neutralité. A Paris, la notice publiée par Le Temps n’est guère plus loquace, ajoutant juste quelques références bibliographiques au propos.

En ce début de XXIe siècle, après le triomphe de l’école des Annales et une ouverture de la discipline vers d’autres pratiques (littéraires, sociologiques, économiques…), l’écho rencontré par le nom de Charles Seignobos semble bien faible. Tout se passe en fait comme si ce décès relativement anonyme annonçait l’oubli qui, bientôt, entoura le maître d’antan. Sa définition de la discipline est pourtant toujours d’une grande actualité, lui qui expliquait que « L'historien est dans la position d'un physicien qui ne connaîtrait les faits que par le compte rendu d'un garçon de laboratoire ignorant et peut-être menteur. »

Erwan LE GALL