La Bretagne au cinéma

Comment le Cinéma regarde-t-il la Bretagne ? Quelles images relaie-t-il quand il nous raconte ses histoires ? Les deux auteures nous proposent dans ce bel ouvrage1 un regard subjectif sur le travail de celles et ceux qui ont regardé cette région, ici perçue dans sa dimension à cinq départements. Subjectif : il ne faut pas attendre du livre une analyse scientifique des images ni une étude statistique des lieux ou des éléments présentés. Il s’agit d’une promenade au gré de 102 films, avec une présentation technique (équipe, distribution, lieux de tournage), un résumé succinct, quelques paragraphes d’analyse, de courtes anecdotes et une riche illustration (images du film, photos de tournage, affiches).

Le cinéma Le Royal à Lorient, dans les années 1950. Carte postale, collection particulière.

Nos deux guides ont choisi de visiter le sujet à travers dix thématiques : un climat sombre et poétique, une vie liée à la mer, le monde insulaire, le retour aux sources (de la part de réalisateurs bretons revenant sur leur terre d’enfance), les vacances d’été, la terre de rencontres (road movies), la culture bretonne, la production digne de la carte postale, l’histoire, la révolte sociale. Il n’y a pas, évidemment, de cloisonnement entre l’ensemble de ces thématiques. Elles ont choisi d’établir leur classement à partir de la plus saillante d’entre elles.

Le propos n’est donc pas une liste des films tournés en Bretagne, désireux de profiter uniquement des paysages comme décors, mais bien de dresser un panorama des représentations de la Bretagne. L’ouvrage de Tangui Perron, Le Cinéma en Bretagne, auquel on songe de suite quand on aborde le 7e art dans la région, développe plus l’histoire du cinéma dans la région, même si la question des stéréotypes est également évoquée2. Ces deux sommes de connaissances s’additionnent donc avec bonheur. Tangui Perron est d’ailleurs cité à deux reprises dans le propos de l’ouvrage.

Les conditions de la production transparaissent parfois dans l’analyse des films. Chanson d’ar-mor, sorti en 1935, est un film de commande : l’Ouest-Éclair choisit Jean Epstein pour valoriser l’image de la région, tandis que le réalisateur trouve ici les moyens de rembourser les dettes de sa société de production. L’affiche annonce d’ailleurs que c’est « un film nouveau à la gloire de la Bretagne ». Ce cadre aurait néanmoins nuit à la liberté esthétique du réalisateur. De son côté, Robert Coudray a produit son J’demande pas la lune, juste quelques étoiles (2013) en indépendant. La culture bretonne met en sauce le propos du réalisateur, autour de la violence de la vie urbaine et de la résistance sociale et politique. On aurait parfois aimé en savoir plus : les représentations de la Bretagne changent-elles quand des objectifs de marché sont en jeu ? La question reste entière…

C’est peut-être la limite de ce livre grand public : certaines analyses sont essentiellement descriptives. Le propos sonne un peu différemment pour certaines œuvres bénéficiant d’articles ou d’ouvrages préalables : c’est le cas pour Mon oncle d’Amérique (1980) d’Alain Resnais, les films de Claude Chabrol, ceux de René Vautier, pour Plogoff, des pierres contre des fusils (1980) de Nicole Le Garrec… Peut-être y a-t-il simplement aussi plus à dire sur les œuvres de certains réalisateurs…

Gérard Depardieu et Nicole Garcia dans Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais. Tirage argentique de 1979, collection particulière.

Malgré leur ton plutôt neutre, les auteures ne s’empêchent pas quelques piques, comme envers Nos plus belles vacances où l’image des Bretons leur apparaît dévalorisée, au-delà du ressort de la comédie. Il n’empêche que le Cinéma aime retrouver en Bretagne sa lande, ses rochers, son bistrot aux habitués bourrus, mais aussi de nombreuses autres petites choses (autour des ambiances portuaires par exemple) qui rendent la région un peu moins intemporelle et permettent au spectateur de se dépayser. La Bretagne au cinéma est un bel ouvrage à picorer au gré des envies, à moins de vouloir s’embarquer pour une plus longue et plaisante lecture.

Johan VINCENT

 

BLANCHARD, Nolwenn et Maria, La Bretagne au cinéma, avec la collaboration de Loïc Blanchard, préface de Manuel Poirier, Paris, Riveneuve éditions, collection « Cinéma », 2015.

 

 

 

1 BLANCHARD, Nolwenn et Maria, La Bretagne au cinéma, avec la collaboration de Loïc Blanchard, préface de Manuel Poirier, Paris, Riveneuve éditions, collection « Cinéma », 2015.

2 PERRON, Tangui, Le Cinéma en Bretagne, Rennes, Palantines, 2006.