Les 89 poilus morts pour la France de Quéménéven

L’ouvrage qu’Yveline Le Grand consacre aux 89 soldats de Quéménéven, petite bourgade du Finistère située entre Locronan et Châteaulin,  est à la fois des plus classiques et parfaitement original1. En ce sens, il s’insère dans cette pratique sociale de la Première Guerre mondiale que N. Offenstadt qualifie « d’histoire à soi », c’est-à-dire un conflit dont la commémoration relie l’individu à la fois à sa destinée familiale mais aussi à des engagements présents2.

Carte postale. Collection particulière.

Classiquement, ce volume est le fruit du travail passionné d’une personne, Yveline Le Grand, docteur en archéo-préhistoire, ayant décidé de retracer le parcours des poilus de sa commune morts pendant la Première Guerre mondiale. Comme il est souvent d’usage, cette démarche d’abord individuelle s’est par la suite développée dans un cadre plus collectif puisque « la population de Quéménéven, sollicitée pour collaborer à ce travail, a répondu présent » en ouvrant des fonds privés d’archives encore inédites (p. 3).

Il n’est pas rare que de telles initiatives soient motivées par un « devoir de mémoire » découlant de relations interpersonnelles, les morts pour la France dont il s’agit ici étant plus ou moins connus des participant.e.s au projet. Là encore, cet ouvrage ne fait pas exception puisqu’Yveline Le Grand explique en préambule que 30 de ces défunts « étaient mariés, et ont laissé au moins 49 orphelins, que la plupart d’entre nous a côtoyés » (p. 3). Mais, là ou bien souvent de telles démarches en restent au stade du sacro-saint devoir de mémoire, le volume d’Yveline Le Grand, véritable monument aux morts de papier (glacé, et de surcroît de très belle facture) est aussi, et peut-être même surtout, un authentique livre d’histoire qui apporte un éclairage bienvenu sur cette commune.

C’est ainsi qu’avant de présenter chacun des poilus de Quéménéven morts pour la France pendant la Grande Guerre, l’auteur s’attache à une courte mais efficace synthèse présentant l’histoire de cette commune pendant le conflit. On apprécie notamment l’accent porté sur la politique de récupération ainsi que sur la contextualisation de la grande mortalité des mobilisés de ce village, réalité statistique renvoyant à leur qualité de paysans et donc à une sur-affectation dans l’infanterie, arme la plus exposée (p. 15).

Conscrits du 118e RI de Quimper où sont affectés de nombreux poilus de Quéménéven. Carte postale. Collection particulière.

Mais l’aspect le plus remarquable de la démarche d’Yveline Le Grand est assurément cette volonté de publication qui, du coup, non seulement pérennise les résultats de cette belle recherche mais permet de les diffuser au-delà du cercle restreint de la commune. Ce faisant, c’est toute la communauté scientifique qui peut bénéficier grâce à ce beau volume des fruits d’une patiente enquête dans les archives publiques mais aussi privées, par définition beaucoup plus difficiles d’accès. En cela, on ne peut qu’être grandement reconnaissant à l’auteur.

Erwan LE GALL

 

1 LE GRAND, Yveline, Des Bretons dans la Grande Guerre. Les 89 soldats de Quéménéven morts pour la France, Auto-édition / Amazon.fr, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 OFFENSADT, Nicolas, 14-18 Aujourd’hui, La Grande Guerre dans la France contemporaine, Paris, Odile Jacob, 2010.