Les « demoiselles aux pompons rouges » : au sujet des fusiliers-marins de Ronarc’h à Dixmude

Sans doute n’est-il pas besoin de dire ici la force du lien unissant la Bretagne à l’histoire des fusiliers-marins de l’amiral Ronarc’h. Dans la plupart  des communes des côtes bretonnes, l’on compte au moins un marin mort à Dixmude ou dans les environs en 1914-1915, justifiant que nombre de monuments aux morts associent ici à la figure du poilu celle du fusilier-marin – du fusilier-marin bien plus que du marin : s’il porte le bachi, il est en effet aussi armé d’un Lebel. Les communes littorales ne sont d’ailleurs pas les seules concernées, ainsi que le rappelle l’avant-dernier numéro de Châteaulin 14-18 : l’un des premiers morts de la sous-préfecture du Finistère fut l’un de ces fusiliers-marins de Ronarc’h. René Donnou, jusqu’alors commis des hypothèques, mobilisé au 2e régiment de fusiliers-marins, est tué le 25 octobre alors qu’il n’a que 17 ans. Et à Rennes, le peintre-combattant Camille Godet n’omet pas de représenter un de ces fusiliers-marins parmi les figures de soldats du Panthéon érigé en l’honneur des morts de la ville ; pas sûr qu’il en aurait été de même au Mans, à Dijon ou à Limoges. 

Vitrail de l'église de Saint-Jacut-de-la-Mer, dans les Côtes d'Armor (détail). Cliché Jean-Yves Coulon.

Autant dire que le livre de Benjamin Massieu sur la bataille de Dixmude1, était en Bretagne attendu avec impatience : le sujet avait en effet, depuis longtemps, besoin d’un savant dépoussiérage. Disons-le d’entrée pourtant : ceux qui avaient apprécié la nouveauté et la finesse de l’enquête menée sur le commandant Kieffer par le même Benjamin Massieu seront pour une part déçus2. Certes, à l’instar du livre sur le fondateur des commandos-marine de la France libre – et de la plupart de ceux dus aux éditions Pierre de Taillac… –, celui sur Dixmude est un beau livre, agréable à tenir, à feuilleter. L’iconographie, souvent habilement valorisée par la belle mise en page, est assez largement inédite, associant entre autres aux clichés dus à l’enseigne de vaisseau Ronarc’h, neveu de l’amiral, attaché certes tardivement à la brigade, une multitude de dessins, gravures de presse, aquarelles, cartes postales vantant les mérites des fusiliers-marins.

On touche là cependant, d’emblée, l’une des limites du livre : l’absence de questionnement sur cette abondance d’images. Quelle autre unité de l’armée française peut en effet se prévaloir d’une telle masse documentaire, d’un tel écho dans la presse nationale quotidienne ou hebdomadaire fin 1914 et courant 1915 ? Aucune sans doute, alors même que l’on en trouverait de nombreuses ayant combattu tout aussi durement lors de la bataille des frontières, sur la Marne ou au moment de la « course à la mer », sans parler des Vosges au cours de l’hiver 1914-1915, des Eparges ou de Vauquois début 1915 etc. Mais aucune de ces unités n’avaient séjourné au préalable à Paris… Les marins, souvent jeunes, pour une part « exotiques » dans leur tenue spécifique, constituent ainsi d’emblée un sujet « vendeur » pour la presse de la capitale qui continue donc de suivre de près le parcours de la brigade Ronarc’h une fois partie pour la Belgique où elle combat à Gand, avant de se replier vers Dixmude dans les conditions que décrit parfaitement l’auteur. On ne saurait bien évidemment limiter l’épisode de la défense de la petite ville des Flandres, du 15 octobre au 16 novembre 1914, à une affaire strictement « médiatique ». Cette dimension est cependant importante dans la postérité de l’événement, tout comme le sera la publication, dès 1915, du Dixmude de Charles Le Goffic, dont le fils est médecin au 2e RFM3.

Extrait du troisième numéro de l'illustré Sur le vif, publié le 28 novembre 1914. Collection particulière.

Benjamin Massieu n’est bien évidemment pas dupe, insistant à juste titre à plusieurs reprises sur les « faiblesses » de l’action des fusiliers de Ronarc’h en octobre-novembre 1914. A plusieurs reprises, des compagnies cèdent à la panique, refluent sous la pression allemande, notamment le 23 octobre. Les pillages des maisons abandonnées par les civils belges sont monnaie courante, ici comme en France d’ailleurs par d’autres troupes : ces fusiliers-marins apparaissent ainsi, en creux – trop en creux… –, comme des combattants comme les autres. Parfois peut-être trop prisonnier d’une historiographie datée et souvent orientée, largement renouvelée depuis quelques années par les travaux de J.-C. Fichou ou de J. de Préneuf4, Benjamin Massieu aurait sans doute pu pousser plus loin l’analyse sur nombre d’aspects  pointés du doigt par ces deux historiens de la marine et du monde maritime contemporain, afin notamment de ne pas laisser, parfois, le lecteur sur sa faim.

Ces regrets ne retirent, bien évidemment, rien à l’intérêt de l’ouvrage qui permettra à un large public de redécouvrir un épisode trop méconnu, de la constitution de la brigade des fusiliers-marins à sa dissolution dès décembre 1915, du maintien de l’ordre dans les rues de Paris à la découverte des réalités de la guerre près de Gand en octobre 1914, des combats contre les Uhlans aux portes de la capitale en septembre à la postérité du nom de Dixmude dans la Royale jusqu’au fameux BPC éponyme, en passant bien évidemment par les combats d’octobre-novembre 1914 aux côtés des soldats belges et des tirailleurs sénégalais, trop souvent oubliés. De nombreux et judicieux encarts apportent d’ailleurs un regard souvent neuf sur le sujet : les cartes postales figurant des fusiliers-marins, le rôle de Georges Hébert, commandant la 8e compagnie du 2e RFM, dans la définition de nouvelles méthodes d’éducation physique, ou encore les dessins et aquarelles de Charles Fouqueray, artiste manceau devenu peintre de la marine en 1908, qui accompagne les hommes de Ronarc’h dans les Flandres fin 1914. Parmi ces focus, notons celui consacré au trop ignoré abbé Jules Pouchard : originaire de Bais, en Ille-et-Vilaine, bien loin du littoral breton, il est en effet devenu aumônier du 1er RFM après avoir été précepteur de la princesse Zita, future impératrice d’Autriche-Hongrie. A l’origine entre autres, en 1926, de l’Amicale des fusiliers-marins, celui qui est devenu résistant meurt en février 1944 des conséquences des traitements subis dans les prisons de la Gestapo.

Yann LAGADEC

MASSIEU, Benjamin, Les Demoiselles aux Pompons rouges. La résistance héroïque des fusiliers-marins à Dixmude, Villers-sur-Mer, Editions Pierre de Taillac, 2014.

 

 

1 MASSIEU, Benjamin, Les Demoiselles aux Pompons rouges. La résistance héroïque des fusiliers-marins à Dixmude, Villers-sur-Mer, Editions Pierre de Taillac, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 MASSIEU, Benjamin, Philippe Kieffer, chef des commandos de la France libre, Villers-sur-Mer, Editions Pierre de Taillac, 2013.

3 Ce livre reçoit le prix Lasserre en 1915, lui assurant une certaine notoriété. On doit au futur académicien deux autres ouvrages sur les fusiliers-marins, publiés en 1917 et 1919.  

4 Voir notamment FICHOU, Jean-Christophe, « Les pompons rouges à Dixmude. L’envers d’une légende », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2010, n° 240, p. 5-21 et PRENEUF, Jean de, « La brigade des fusiliers-marins à Dixmude. Un enjeu identitaire pour la reconnaissance de la participation des Bretons à la Grande Guerre », Actes du colloque La Grande Guerre des Bretons, Rennes/Ecoles de Saint-Cyr-Coëtquidan, à paraître, 2015.