Lettres à Radio Londres

La jalousie est un bien vilain défaut et pourtant l’honnêteté impose d’avouer que c’est bien ce sentiment qui, doublement de surcroît, prédomine après la lecture de ce magnifique ouvrage signé par Aurélie Luneau1. En effet, quel(le) historien(ne) n’a jamais rêvé d’accéder à un fonds aussi peu exploité et hautement symbolique que ces lettres écrites par les Français entre 1940 et 1944 à Radio Londres ?

Certes, ces courriers conservés au BBC Written Archives Center n’ont sans doute pas l’importance d’une pierre de Rosette dans la mesure où ils ne révolutionnent pas notre compréhension de la Seconde Guerre mondiale, ni même notre connaissance de Radio Londres, antenne à laquelle cette même Aurélie Luneau a consacré une thèse remarquée2. Pourtant rares sont les sources aussi évocatrices. Que l’on songe quelques instants aux difficultés qu'implique l’envoi de ces lettres en Grande-Bretagne alors que l’Europe continentale est sous l’implacable domination nazie et on mesurera combien précieuses sont ces archives (p. 219) :

« Entre le 11 novembre 1942 et le 25 février 1943, seuls trente-deux auditeurs réussissent à faire passer leurs lettres en Angleterre, la moitié provenant de l’ancienne zone libre. Sur ce total, six furent postées en France, sept passèrent par l’Espagne, le Portugal et l’Afrique du Nord, et dix-sept autres arrivèrent à bon port par des moyens privés. En avril, ce sont encore vingt-huit lettres qui parviennent à Londres, mais le flot s’amenuise pour se tarir en 1944. »

Au centre de l'image, les locaux de la BBC, en décembre 1940. Ben Brooksbank.

Ces archives sont donc de véritables rescapées de l’histoire – surtout si l’on se rappelle des bombardements subis par la ville de Londres – et sans doute le corpus est-il trop restreint pour être considéré comme représentatif. Et pourtant, ce remarquable ouvrage invite à deux réflexions. On a dit il y a quelques temps combien le travail de Dominique Fouchard sur la mémoire de la Première Guerre mondiale nous parait novateur du point de vue des sources mobilisées et notamment du courrier des lectreur(ices) publié par les illustrés féminins. Ces lettres donnent en effet à voir un intime difficilement décelable et c’est aussi ce que révèlent les courriers adressés à la BBC publiés par Auréile Luneau. On connait ainsi l’épopée de ces quelques navires qui quittent la Bretagne dès juin 1940 pour rallier l’Angleterre mais difficilement mesurables sont les réactions des familles de ces marins restées, elles, en France occupée. Précieuse est donc cette lettre d’un pêcheur du Pas-de-Calais qui s’adresse à la BBC en mars 1941 pour avoir des nouvelles de ses fils, dont un compte parmi ceux qui quittent Paimpol le 18 juin pour gagner la Grande-Bretagne (p. 85). Sans soute y-a-t-il là une piste que l’historiographie explorera dans les années à venir tant cette piste des courriers des lecteur(rices)/auditeur(rices) parait potentiellement riche.

De même, on est frappés de voir à la lecture de ces lettres combien la Résistance est un acte difficilement mesurable. On connait les controverses historiographiques sur les contours qu’il convient de donner à l’action clandestine mais il s’agit le plus souvent de débats portant sur la délivrance après-guerre d’un statut donnant accès, on l’oublie trop souvent, à une action sociale spécifique3. De même, on sait que si la Résistance recrute en fonction de ses besoins, nombreuses sont les personnes qui voulant « faire quelque chose » ne parviennent pas à s’enrôler dans l’Armée des ombres faute de contact. Or c’est précisément ce que révèle cette carte du Finistère adressée de Quimper en octobre 1941 à Radio Londres (p. 116). Il s’agit assurément d’un acte de Résistance dans la mesure où l’auteur de cette lettre s’expose assurément à la terrible répression de Vichy et/ou de l’occupant, que l’on sait particulièrement bien implanté dans cette partie de Bretagne. D’ailleurs, aussi sommaire soit-il, ce plan est transmis par la BBC à l’Intelligence Service. Pourtant, quelle commission d’attribution de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance aurait dans les années 1950 envisagé de donner le précieux sésame à l’auteur d’un tel courrier ?

Collection partculière.

Ce sont d’ailleurs ces plans sommaires transmis dans le but de contribuer au renseignement allié qui suscitent, à la lecture de cet ouvrage remarquable, une seconde poussée de jalousie. Certes, avoir accès à un fonds d’archives exceptionnel est une chose mais trouver l’éditeur qui saura le mettre en valeur en est une autre. Et l’on se doit ici de saluer le travail de L’Iconoclaste qui permet au lecteur de feuilleter de magnifiques reproductions de ces lettres, comme si lui aussi avait directement accès à ce splendide fonds d’archives. Alors certes, on peut être jaloux face à un tel ouvrage. Mais avouez tout de même qu’il y a de quoi non ?

Erwan LE GALL

LUNEAU, Aurélie, Je vous écris de France. Lettres inédites à la BBC 1940-1944, Paris, L’Iconoclaste, 2014.

 

1  LUNEAU, Aurélie, Je vous écris de France. Lettres inédites à la BBC 1940-1944, Paris, L’Iconoclaste, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2  LUNEAU, Aurélie, Radio Londres. Les voix de la Liberté. 1940-1944, Paris, Perrin, 2005.

3 Sur cette question voire notamment DOUZOU, Laurent, « La Résistance et le monde rural : entre histoire et mémoire », Ruralia, n°4, 1999, en ligne, paragraphe 33.