Ouvriers Vietamiens de la Grande Guerre

Avec les ports de Brest et Saint-Nazaire, la Bretagne est une véritable porte d’entrée sur le front ouest lors de la Première Guerre mondiale. C’est ainsi que de nombreux soldats américains, britanniques ou encore portugais traversent la péninsule armoricaine pendant le conflit. Ils viennent s’ajouter aux prisonniers allemands et aux blessés coloniaux ou alliés – les sources font par exemple état de convalescents russes à Saint-Malo – que l’on trouve également sur le territoire des 10e et 11e régions militaires. C’est là d’ailleurs une chose globalement connue, à l’exception des quelques individus originaires d’Extrême-Orient que l’on trouve ça-et-là dans les archives.

A l’évocation de ces individus on pense immédiatement aux travaux de Li Ma sur les travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale1. A cette référence bibliographique incontournable, il faut désormais en rajouter une autre, à savoir la synthèse que Mireille Le Van Ho consacre à ces Vietnamiens dans la Grande Guerre qui, au final, sont 50 000 recrues dans les usines françaises2. Issue d’une thèse de l’Ecole des Chartes, cette solide étude publiée aux éditions Vendémiaire – dont on ne soulignera jamais ici le dynamisme et le sérieux – se divise en trois grandes parties : la première concerne le recrutement de ces ouvriers, la seconde leur « expérience ouvrière » en métropole et la troisième, qui dit bien combien la Première Guerre mondiale est une rupture fondamentale, envisage ce séjour en France sous l’angle d’une « révélation politique » aboutissant à « l’ébranlement de l’ordre colonial ».

Peu présents dans les mémoires, si l’on excepte le qualificatif de niakoué qui est souvent employé à leur propos en Bretagne, ces Asiatiques ayant participé à la Grande Guerre sont pourtant bien visibles dans les chiffres : sur 887 400 mobilisés originaires des colonies, 90 000 proviennent du Vietnam. Ceux-ci se répartissent à part à peu près égale entre 49 000 ouvriers qui viennent travailler au sein des usines d’armements et arsenaux français et 43 000 combattants affectés à des bataillons combattants ou d’étape, apportant ainsi un soutien logistique essentiel aux armées (p. 11). Rappeler ces chiffres est important dans une Bretagne où la mémoire du Vietnam se limite trop souvent aux bornes chronologiques que sont les missions exploratrices d’Auguste Pavie et la guerre d’Indochine. Au même titre que la Résistance contre les japonais pendant la Seconde Guerre mondiale est trop souvent ignorée, la participation de ces Vietnamiens à celle qui devait être la der des ders doit être rappelée.

Carte postale. Collection particulière.

Ceci parait d’autant plus important que les conditions de vie décrites par Mireille Le Van Ho sont particulièrement dures et ce pour plusieurs raisons. Il y a d’abord les rapports aux travailleurs métropolitains, rapports qui rappellent que la colonisation est consubstantielle à l’idée de violence. Et si la CGT se bat dès 1915 pour réclamer l’égalité salariale entre ouvriers coloniaux et métropolitains, c’est moins par soucis d’équité et de justice que pour « protéger le travail national » (p. 25). Mais il y aussi les rapports avec les ouvriers originaires d’autres colonies qui, parfois, se terminent dans des bains de sangs à la suite de véritables rixes armées (p. 75-79). Et enfin, il y a les journées de travail qui, elles aussi, relèvent d’une certaine violence en ce que Mireille Le Van Ho présente ces vietnamiens comme des « immigrés [placés] au banc d’essai du taylorisme » (p. 105).

Au final, il y a là un excellent livre qui, s’il n’évoque pas la Bretagne, n’en demeurera pas moins indispensable pour qui entreprendra d’écrire l’histoire de ces individus originaires d’Extrême-Orient dont on distingue les traces éparses, à travers les archives, dans la péninsule armoricaine pendant la Première Guerre mondiale.

Erwan LE GALL

LE VAN HO, Mireille, Des vietnamiens dans la Grande Guerre. 50 000 recrues dans les usines françaises, Paris, Vendémiaire, 2014.

 

1 MA, Li (dir.), Les travailleurs chinois en France dans la Première Guerre mondiale, Paris, CNRS Editions, 2012.

2 LE VAN HO, Mireille, Des vietnamiens dans la Grande Guerre. 50 000 recrues dans les usines françaises, Paris, Vendémiaire, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.