Superbe Anita Conti

La photo en noir et blanc d’une femme de profil, un casque colonial sur la tête, le regard déterminé avec la mer en arrière plan. Voilà la couverture d’un très beau livre consacré à Anita Conti paru récemment aux éditions Locus Solus. A l’occasion de la fin du classement des archives qu’elle avait confiées aux archives municipales de Lorient, Clotilde Leton nous présente avec une subjectivité assumée les différentes facettes de cette femme à bien des égards hors du commun et qui a entretenu un rapport particulier avec les pêcheurs bretons.

Le fonds, dont la composition est détaillée à la fin de l’ouvrage (p. 206), est considérable : des milliers de photographies, d’objets et de livres, en plus des papiers proprement dits. C’est un hommage comme l’écrit l’auteur dans l’introduction (p. 11) pour une femme d’exception et même une « légende vivante » selon l’éditeur Loïc Josse (p. 8). L’ouvrage présente les multiples facettes de la vie d’Anita Conti, divisée en 21 chapitres transversaux. Il ne s’agit donc pas d’une biographie à proprement parler. Chaque chapitre présente en deux pages une vision synthétique du thème puis fait place à plusieurs pages de documents, textes, dessins, images ou objets choisis dans ses archives.

Anita Conti: une grande photographe de la mer. Locus Solus.

Anita Conti a mené plusieurs vies parallèlement : à la fois relieuse d’art reconnue internationalement, journaliste, océanographe, photographe émérite, pionnière de la défense d’une pêche durable et de la pisciculture. Elle a été de tous les combats : déminant le port de Dunkerque en 1939 et 1940, étudiant les zones de pêche en Afrique pour cartographier les ressources encore inconnues et contribuer à nourrir la population française. Parallèlement, elle étudie les moyens d’améliorer la pêche pour les populations locales et crée une pêcherie expérimentale en Guinée entre 1947 et 1951. Elle a très tôt la conscience qu’il faut arrêter de piller les océans pour opérer ce qu’on n’appelle pas encore une pêche durable.

Femme de conviction, c’est également une femme d’action. Elle brave le danger en participant à de nombreuses campagnes de pêche sur des chalutiers et elle n’hésite pas à lutter contre les préjugés. Ainsi, lors d’une de ces campagnes, en 1960, alors qu’elle observe qu’on rejette systématiquement à l’eau le poisson sabre pêché, elle convainc le capitaine d’en garder une certaine quantité et grâce à une campagne de communication, elle arrive à la vendre ce poisson jusqu’alors négligé. En 1961, se rendant compte de l’impasse dans laquelle amène la pêche industrielle, elle devient pionnière de l’aquaculture et poursuit ses recherches pendant près de 15 ans, jusqu’à l’âge respectable de 88 ans.

La Bretagne joue un grand rôle dans sa vie. Son enfance est marquée par les longs séjours qu’elle y fait avec ses parents, ce qui lui permet de s’imprégner de la richesse de la mer et de ses côtes. En 1958 et 1959, elle s’intéresse aux requins pèlerins qu’elle observe au large de Concarneau. Elle y passera la fin de la vie, à Douarnenez, et ses cendres seront dispersées en mer d’Iroise. La Bretagne reconnaîtra l’importance de son œuvre de son vivant avec la mise à l’eau en 1962 du premier chalutier baptisé Anita Conti dans le port finistérien de Saint-Guénolé.

Sur le pont par forte houle. Archives municipales de Lorient.

C’est une vision particulièrement sensible et émouvante que l’on retient une fois le livre terminé. Il y a également en filigrane dans cet ouvrage la formidable amitié qui lie Anita Conti à Pâquerette de Quénétain, dont elle avait hérité des archives. La préface du libraire Loïc Josse est dans la même veine montrant à quel point elle a marqué tous les gens qui l’ont croisée (p. 8-9). Profondément humaine, Anita Conti est une chef de tribu. Elle noue des relations amicales et profondes dans une communauté qui se forge dans les propriétés successives de Pâquerette de Quénétain, à Cannes puis Mougins. Elle apparait ainsi comme sachant construire de solides et durables amitiés, obtenant le respect des rudes marins par ses compétences et sa profonde connaissance du monde marin. Elle sacrifiera sa vie personnelle à sa vocation et son mariage n’apparaît que comme une concession aux usages sociaux, une relation en pointillés ponctuée par ses nombreuses pérégrinations.

Les milliers de photos prises par Anita Conti ont, outre leur beauté formelle, une valeur ethnologique de premier plan sur le monde de la pêche dans les années 1940-1950, que ce soit dans le port à Marseille (p. 90-91), sur les chalutiers (p. 81-83) ou en Guinée (p. 142-143). C’est l’occasion de faire de magnifiques portraits aussi divers qu’une petite fille soussou de Guinée (p. 103), des jeunes mousses (p. 100-101) ou des marins au repos dans leur bannette (p. 84-85).

Outre la beauté formelle de l’ouvrage, la démarché d’édition est à souligner. L’ouvrage est très pédagogique, avec une chronologie et un index à la fin, trop peut être. On pourra toujours regretter certains partis pris comme le changement de couleur des titres et de certains éléments typographiques à chaque chapitre mais la reproduction de documents est extrêmement soignée et la mise en page très agréable.

Jérôme CUCARULL

LETON, Clotilde, Anita Conti. Portrait d’archives, Loperec, éditions Locus Solus, 2014.