Une autre hécatombe indispensable à connaître : celle des chevaux pendant la Première Guerre mondiale
La chose est connue et affleure dans de nombreux témoignages : les chevaux comptent parmi les grandes victimes de la Première Guerre mondiale. Pourtant, la thèse de l’historienne Gene Tempest n’étant pour l’heure pas disponible en France1, la question demeurait mal documentée. Demeurait car l’ouvrage que Claude Milhaud publie aux éditions Belin constitue une synthèse qui non seulement comble un vide important de l’historiographie mais constitue une référence – déjà – incontournable2.
|
Carte postale. Collection particulière. |
Le propos de l’ouvrage est relativement simple et part d’un constat assez effrayant : pendant la Première Guerre mondiale, la France perd 1 140 000 chevaux et mulets, qu’il s’agisse d’animaux morts, disparus ou blessés (p. 7). Un chiffre qui représente une mortalité annuelle de plus de 16% (p. 151). Dès lors, Claude Milhaud entend expliquer les raisons d’un bilan aussi lourd. Limpide, l’intention de l’auteur n’en constitue pas moins une barre très haute à franchir puisqu’il s’agit là d’un sujet particulièrement technique, imposant de bien connaître le fonctionnement de l’armée française de 1914-1918 mais également de disposer d’une réelle compréhension des problématiques liées aux équidés en Grande Guerre. Autant d’obstacles que l’auteur franchît allègrement puisque vétérinaire et officier général, il connait parfaitement ces deux mondes. De surcroît, il s’appuie sur une bibliographie réellement impressionnante et un travail d’archives d’autant plus minutieux que les sources traitant de la question sont éparpillées en de multiples fonds différents !
La structure de l’ouvrage est d’une grande clarté et, malgré une écriture parfois un peu lourde, permet d’éclairer efficacement la lanterne du lecteur qui ne serait familier ni d’histoire militaire ni d’hippologie. Après avoir rappelé le rôle des chevaux et des mulets dans l’armée française 1914-1918, Claude Milhaud analyse leur recrutement et leur entretien puis s’attarde sur l’organisation des services vétérinaires et, enfin, sur les pathologies dont souffrent ces animaux pendant le conflit.
Il est difficile, voire illusoire, de prétendre résumer en quelques lignes ce volume tant celui-ci regorge d’informations non seulement passionnantes mais qui éclairent d’une nouvelle lumière la Grande Guerre. Loin d’être cantonné à la seule cavalerie, le cheval est partout. Ainsi en 1914, un régiment d’artillerie de campagne en compte pas moins de 2 900 (p. 16), une unité d’infanterie d’active 300 ! (p. 25). Ces bêtes, il faut les nourrir et dans un contexte agricole aussi tendu que celui de la Grande Guerre, certaines expérimentations font froid dans le dos. Au printemps 1917, pour préserver les ressources en avoine, quelques animaux sont nourris avec de la sciure de bois, mais aussi du sang séché voire même de la viande de cheval en poudre (p. 86). Dans ces conditions, on comprend pourquoi l’œuvre des organisations philanthropiques dévolues aux chevaux est si importante (p. 145-150), dimension qui par ailleurs constitue à notre connaissance un sujet fort peu défriché auparavant.
|
Carte postale. Collection particulière. |
On ne saurait donc trop conseiller la lecture de ce volume qui, assurément, fera date. Cet ouvrage est d’autant plus incontournable qu’au final il dépasse de loin la simple question équine. Il est en effet frappant de constater à travers ces quelques 290 pages, dont une cinquantaine d’appareil critique, combien la réalité de cette confrontation à la guerre réelle, et non plus à celle qui avait été anticipée à la Belle époque (p. 102), décrite par Claude Milhaud peut être transposable à celle des combattants3. De ce point de vue, les conditions du déploiement des chevaux et mulets en zone de guerre, bien loin de ce qui est préconisé par les règlements du temps de paix, sont particulièrement significatives (p. 54-55). De même, comment ne pas voir dans l’élargissement des critères de réquisition un parallèle stupéfiant avec la politique de récupération ?
Erwan LE GALL
MILHAUD, Claude, 1914-1918 L’autre hécatombe. Enquête sur la perte de 1 140 000 chevaux et mulets, Paris, Belin, 2017.
1 TEMPEST, Gene, The Long Face of War: Horses and the Nature of Warfare in the French and British Armies on the Western Front, Ph. D., Yale University, 2013.
2 MILHAUD, Claude, 1914-1918 L’autre hécatombe. Enquête sur la perte de 1 140 000 chevaux et mulets, Paris, Belin, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.
3 Sur cette question COCHET, François et SAUVAGE, Jean-Christophe (dir.), 1914. La Guerre avant la guerre. Regards sur un conflit à venir, Paris, Riveneuve, 2015 et pour une première grille de lecture on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014. |