Une question de définition : exilés / réfugiés

Les éditions Vendémiaire ont pour habitude de publier de courts ouvrages qui proposent au grand public un éclairage pointu sur un thème précis grâce à un spécialiste reconnu maitrisant toutes les subtilités historiographiques du sujet. C’est donc avec gourmandise que nous nous sommes emparés de ce Premier exode. La Grande Guerre des réfugiés belges en France écrit  par Jean-Pierre Popelier1.

Autant le dire de suite, ce volume est d’excellente facture et offre aux curieux désireux d’en savoir plus sur cet aspect de la Première Guerre mondiale une bonne synthèse, sans doute plus accessible que les travaux d’Annette Becker ou de Philippe Nivet. On notera de surcroît que ce petit livre évoque régulièrement la Bretagne et que l’auteur s’est manifestement rendu pour ses recherches aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Pour autant, il n’en demeure pas moins que la lecture de cet ouvrage n’est pas sans poser un certain nombre de questions, interrogations qui du reste surgissent moins de la plume de Jean-Pierre Popelier que des contours extrêmement fluctuants de l’objet étudié.

Réfugiés sur la route de l'exode. Wikicommons.

Ainsi, on est en droit de se demander quand finit pour le chercheur l’objet historique « exode ». Poser une telle question peut de prime abord paraître absurde, et pourtant il semble que de la réponse apportée découle une dualité dans les régimes temporels qui parait essentielle pour comprendre la Grande Guerre. L’objet historique « exode » ne pose en effet pas de problème quant à son début : un départ précipité, une fuite devant un envahisseur redoutable et terrifiant. C’est d’ailleurs ce que rappelle très bien Jean-Pierre Popelier dans des pages qui tentent autant que possible de reproduire l’indescriptible ambiance de « sauve qui peut » de ces journées d’août 1914 (p. 17-22). Ici c’est l’urgence, la panique, l’instant qui entourent les acteurs. La guerre est de mouvement et chacun la pressent encore courte.

Mais lorsque l’exode dure et que les sociétés confrontées à cet afflux de population doivent affronter la question des réfugiés, on est en droit de se demander si l’on n’est pas sorti de l’objet initial tant les ressorts sont différents. En effet, si l’urgence est encore présente du fait de la situation sanitaire et sociale de ces populations, c’est bien la rationalité administrative – quand bien même celle-ci est improvisée par des autorités dépassées (p. 25- 35) –  qui ici gouverne, ce qui suppose un rapport différent au temps. Bien entendu, chacun espère encore que la prochaine offensive apporte la victoire mais il n’en demeure pas moins que lorsque l’on en vient à envisager la question des réfugiés, alors, de facto, c’est que la guerre dure. Et cela est encore plus le cas lorsque l’auteur évoque, de temps à autres, les vagues de réfugiés de 1917 (p. 51 par exemple).

Carte postale. Collection particulière.

Alors, bien entendu, la question des régimes de temporalité que pose la distinction entre exilés et réfugiés est importante dans le cadre de l’économie générale de Grande Guerre, conflit que nous savons très long mais dont les contemporains – chose étonnante à dire mais qui est trop souvent négligée – ignoraient quand il finirait. Il n’en demeure pas moins que traiter des premiers sans aborder les seconds est pratiquement très difficile. Tout d’abord parce que ces deux sujets sont intimement liés et que très rares sont les exilés qui ne deviennent pas, dans le même mouvement des réfugiés. Mais surtout, parce que l’exode est un phénomène au final assez mal documenté. Sans doute est-ce d’ailleurs ce qui permet d’expliquer le relatif vide historiographique dans lequel celui-ci se trouve, réflexion qui du reste pourrait aussi être élargie à l’exode de juin 1940.

Erwan LE GALL

POPELIER, Jean-Pierre, Le premier exode. La Grande Guerre des réfugiés belges en France, Paris, Vendémiaire, 2014.

 

1 POPELIER, Jean-Pierre, Le premier exode. La Grande Guerre des réfugiés belges en France, Paris, Vendémiaire, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.