Amiral d’Iroise : Olivier de Kersauson

Olivier de Kersauson est à l’image de la mer d’Iroise, ce bout d’océan Atlantique qui peut se montrer tour à tour des plus ravissants ou, bien au contraire, des plus dangereux pour les navires qui y croisent. Ténébreux, volcanique, les adjectifs ne manquent pas pour qualifier l’un des plus illustres marins bretons, icône navale mais aussi médiatique, qui n’est d’ailleurs pas sans partager un certain nombre de points communs avec son maître, Eric Tabarly

Kriter II, skippé par Olivier de Kersauson en 1975 sur la course Londres-Sidney. Carte postale, collection particulière.

Les deux hommes se connaissent en effet très bien, Olivier de Kersauson devenant à la fin des années 1960 le second d’Eric Tabarly, notamment sur Pen Duick III, navire alors très avant-gardiste puisque construit dans un matériau à l’époque peu utilisé : l’aluminium. Tous deux partagent une même passion pour l’innovation technologique, ce qui les pousse à concevoir des navires toujours plus grands, plus rapides. Pour Olivier de Kersauson, c’est probablement chez Géronimo que cette recherche de la performance s’incarne le mieux : un multicoque de plus de 33 mètres de long qui, lors de son lancement à Brest en septembre 2001, est alors le plus grand trimaran du monde. Ensemble, ils ravissent à Bruno Peyon, le 29 avril 2004, le fameux Trophée Jules Verne.

Cette compétition est à d’ailleurs à l’image de celui que l’on présente régulièrement comme étant incontrôlable puisqu’elle s’affranchit de toutes les jauges – ces règles soumises à la sagacité des architectes afin d’encadrer les performances. Il en résulte des multicoques d’une puissance jamais vue, sollicitant sans cesse les équipages dans le but de poursuivre un rêve qui paraissait alors fou mais semble aujourd’hui bien banal : effectuer le tour du monde à la voile en moins de 80 jours. Un défi à la mesure de ce pionnier des multicoques, à l’origine de nombreuses innovations décisives : premier navire en fibre composite (le trimaran Jacques Ribourel, lancé en 1981), premier trimaran à flotteurs longs (Poulain, lancé en 1986)…

Mais si le trophée Jules Verne est une compétition qui va si bien à Olivier de Kersauson, c’est aussi parce qu’elle porte le nom d’un immense écrivain. Or, volontiers décrit comme bougon, braillard et débraillé, le Brestois est en réalité un être dont la délicatesse, issue pour une certaine part d’une éducation classique, à l’ombre des jésuites comme il sied aux rejetons des authentiques familles aristocratiques, s’exprime merveilleusement plume à la main. Ne dédaignant pas à l’occasion fréquenter le grand monde, notamment pour partir à la chasse aux sponsors, il se forge l’image d’un ombrageux « amiral » aux saillies caustiques en compagnie de saltimbanques aussi connus que Jacques Martin et Patrick Sébastien, s’échouant inévitablement sur la tablée des Grosses Têtes. Mais en 2008, le grand public peut le découvrir dans un tout autre registre, laissant découvrir l’être fin et distingué qui se cache derrière le personnage de rustre misogyne : c’est Ocean songs, véritable best-seller sorti en 2008.

Jacques Ribourel dans la rade de Brest, en 1981. Collection particulière.

Loin d’être l’iconoclaste que l’on se plait souvent à décrire, Olivier de Kersauson se révèle en réalité appliquer le schéma classique du sportif de haut-niveau qui émerge à la fin du XXe siècle : un compétiteur hors-normes et bourré de talent mais également une véritable icone médiatique, capable d’amener sur son seul nom des sponsors pour financer tel ou tel navire, telle ou telle course. Là où Tabarly était un taiseux, là où Loïck Peyron est le gendre idéal, Olivier de Kersauson est juste le misanthrope grossier, personnage qui cache une réalité bien plus subtile, et complexe.

Erwan LE GALL