Au nom de la coupe : Marc Pajot

A partir de 1964 et de la victoire d’Eric Tabarly dans la Transat anglaise, ce sont plusieurs générations de marins français qui commencent à non seulement poindre leur nez sur les plus grandes régates internationales mais à étoffer leur palmarès. Né à La Baule en 1953, skipper d’une remarquable précocité et au talent unanimement salué, Marc Pajot fait pourtant figure de cas à part bien qu’issu, lui aussi, du moule Tabarly. Il est vrai que son graal maritime, la Coupe de l’America, s’est toujours refusé à lui…

Carte postale. Collection particulière.

C’est en duo, avec son frère Yves, que Marc Pajot écrit les premières lettres d’un palmarès long comme le bras : sept fois champion de France, cinq fois champion du monde, médaillé d’argent aux jeux olympiques  de Munich en 1972… Leur arme ? Le Flying Dutchman, un dériveur de 6 mètres qui se manœuvre en double et qui, avec ses formes planantes, son grand génois et plus encore son spinnaker en font un navire redoutable par vent-arrière.  Les frères Pajot maîtrisent tellement leur hollandais volant qu’ils inventent pour lui un double enrouleur de spi, de manière à assoir encore plus leur domination sur ces « parcours banane » qui, rapidement, deviennent trop étroit pour eux.

Sans surprise, Marc Pajot vire de bord et, devenu équipier d’Eric Tabarly, goûte au plaisir du large lors de la Whitbread 1973, course autour du monde en équipage et avec escales. Là encore, un chiffre dit bien le talent et la précocité du marin : à 20 ans, il est cap-hornier à bord de Pen Duick VI, avec Olivier de Kersauson qui, lui-aussi, est de la partie. La transition paraît anodine or elle est loin de l’être : dans cet univers résolument viril, pour ne pas dire macho, la course au large c’est le monde des hommes, des vrais marins, bref rien à voir avec ces jouets pour enfants que sont les dériveurs…. Sortant du lot par un professionnalisme et une rationalisation de chaque instant, Marc Pajot traverse quinze fois l’Atlantique et, à bord de ses catamarans Elf Aquitaine, écrit quelques-unes des plus belles pages de son histoire : vainqueur de La Baule-Dakar en 1980 et de la mythique route du Rhum en 1982, recordman de la traversée de l’Atlantique en 1981 en un peu plus de 9 jours.

Mais tout cela ne suffit pas au Baulois qui veut s’attaquer  à un projet immense, sorte d’Everest tout à la fois maritime, technologique et financier : la coupe de l’America. Mais la conquête de l’Aiguière d’argent, vulgaire pichet pour celles et ceux qui dénigrent cette épreuve, se double d’un véritable défi social. Fils d’un professeur de gym, Marc Pajot s’est fait tout seul, apprenant par lui-même son métier de marin professionnel. Il n’appartient donc aucunement à ce monde de capitaines d’industrie milliardaires qui, à l’instar de Sir Thomas Lipton ou du baron Bich en France, rivalisent de coups de folie pour s’emparer de ce trophée. Peut-être est-ce d’ailleurs cela qui, au final, lui a manqué pour l’emporter… Il n’en demeure pas moins que Marc Pajot, avec son French Kiss à Fremantle, en Australie, et Ville de Paris et France 2 à San Diego, en Californie, a marqué de son nom la compétition, parvenant deux fois en demi-finale.

Avec Ville de Paris dans l'édition 1992 de la Coupe Louis Vuitton. Carte postale. Collection particulière.

Toutefois, et contrairement à ses deux précédents terrains de jeu, le Baulois ne parvient pas à gagner la Coupe de l’America. Il en résulte une image mitigée, façonnée par une presse sportive qui, ne connaissant pas nécessairement bien l’univers très particulier propre à cette épreuve, n’hésite pas à l’assimiler à un perdant, à un avatar suranné de ces années 1980 dominées par la course au fric. Il est vrai que Marc Pajot ne fait rien pour arranger son cas : retiré de la compétition, il est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de revente de yachts de luxe dont le prix peut parfois dépasser les 50 millions d’euros !

Erwan LE GALL