Bombard à la barre

Alain Bombard est l’homme de multiples vies : médecin, aventurier, écrivain, entrepreneur, homme politique, écologiste, homme de télévision... Mais il est un endroit du Morbihan où il est l’homme de neuf vies, celles de 9 hommes décédés sur la barre d’Etel le 3 octobre 1958.

Né à Paris en 1924, le jeune Alain Bombard  découvre assez tôt la mer et ses plaisirs lors de vacances qu’il passe régulièrement en Bretagne. Elève brillant, il se destine à la médecine et effectue son internat à Boulogne-sur-Mer. C’est là que sa vie change, par l’intermédiaire de deux cas médicaux pratiques. Travaillant avec des survivants du système concentrationnaire nazi, il s’intéresse de près aux cas extrêmes de dénutrition. Mais Boulogne est également un grand port, confronté à de multiples drames et à de nombreuses disparitions de pêcheurs. C’est la conjonction de ces deux éléments qui, très tôt, incite le jeune médecin à s’intéresser à la survie en mer.

Alain Bombard, à droite, à bord de L'Hérétique, en 1952. Allboatsavenue.

Esprit fort mais visionnaire, Alain Bombard pense qu’il est possible de survivre au milieu de l’océan en ne se nourrissant que de plancton et d’eau de mer. Considéré comme un iconoclaste, il embarque, à bord d’un canot pneumatique qu’il nomme insolemment L’hérétique, pour une traversée de 113 jours dont il tire un véritable classique de la littérature maritime, Naufragé volontaire, publié en 1958.

Fort de la notoriété internationale que lui confère son exploit et son livre, Alain Bombard décide de poursuivre ses recherches en expérimentant un nouveau type de canot de sauvetage. Pour cela, il choisit de s’attaquer à la barre d’Etel, grosse lame formée à l’embouchure de la ria du même nom par la collusion sur un banc de sable de la marée descendante et de la houle du large.

La barre d'Etel. Wikicommons.

Très rapidement l’essai tourne au drame : le canot de Bombard se retourne, de même que le Vice Amiral Schwerer II, navire de sauvetage parti à sa rescousse, victime d’une haussière bloquée dans l’hélice. Le bilan est lourd : 9 morts, quatre sur le canot d’Alain Bombard, cinq sur le Vice Amiral Schwerer II parti à leur secours.

L’accident est un véritable traumatisme dans le pays d’Etel, dont les habitants savent depuis des temps immémoriaux les dangers de la barre. Deux mondes se confrontent, celui d’une Bretagne que l’on dit encore arriérée et celui de la modernité parisienne. Rapidement la polémique enfle et l’on se demande comment a pu être menée une telle expérience sachant que tout le monde, à Etel, connait les dangers de la barre par gros temps. Le Maire, Alfred Morvan, s’était d’ailleurs fermement opposé à la chose mais n’avait pu être entendu…

C’est donc un Alain Bombard acculé qui répond, le 9 janvier 1959, aux questions de l’ORTF, trois mois seulement après la catastrophe. Appelé à la barre, le plateau de télévision se mue en véritable cour d’assises. Et les spectateurs, en devenant juges, livrent une remarquable tribune à l’éloquence du médecin qui, pour beaucoup, est perçue comme la preuve de la suffisance d’un homme responsable de la mort inutile de 9 marins.

Aujourd’hui encore, en Bretagne et dans le Morbihan, à Etel tout particulièrement, la mémoire d’Alain Bombard reste ambivalente tant l’empreinte de ce drame est vive. Si les éléments restent toujours les plus forts, il n’en demeure pas moins que les recherches du docteur Bombard ont permis de considérablement diminuer la mortalité en mer.

Erwan LE GALL