Retour sur les bancs ?

C’est chose connue, notamment à la suite de l’historien finistérien J-C. Fichou1 : la pêche, surtout lorsqu’elle est hauturière, c’est-à-dire pratiquée au large, est très lourdement impactée par la Première Guerre mondiale. Pêcher devient pendant le conflit un véritable acte de guerre puisque toutes les ressources doivent être mobilisées pour approvisionner le front. Les flottilles deviennent dès lors un objectif militaire, notamment par l’intermédiaire des redoutables – et redoutés – U-boots allemands. Encore une fois, cela est chose désormais globalement comprise, même si beaucoup reste encore à découvrir.

Carte postale. Collection particulière.

Une piste intéressante de recherche est à cet égard la sortie de guerre2 de ces pêcheurs et leur retour au métier. Il serait ainsi opportun de s’intéresser à la démobilisation de ces hommes, pour la plupart inscrits maritimes. Il est vrai que ces individus n’intéressent jamais la recherche et que les registres de l’inscription maritime sont les grands laissés pour compte des opérations de numérisation en cours dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale : la France se vit décidément comme une nation de terriens… Or, de nombreuses questions subsistent : ces inscrits maritimes sont-ils notamment démobilisés au même rythme et suivant les mêmes modalités que les poilus, qu’ils soient fantassins, artilleurs ou même tringlots ? Pour l’heure, nous n’en savons rien…

De même, un article publié le 17 février 1920 en première page de L’Ouest-Eclair dit bien combien le sujet du retour à la pêche au lendemain de la Première Guerre mondiale est riche de possibilités de recherches. Arguant du fait que « Les terreneuvas n’ont pas oublié le chemin des bancs », il expose certaines problématiques qui mériteraient d’être étudiées plus finement. Il en est ainsi par exemple de l’évolution de la ressource pendant le conflit : on sait en effet que les campagnes à la veille de la Grande Guerre sont de moins en moins bonnes du fait d’une raréfaction de la ressource. Pour autant, peut-on avancer que le conflit a permis une reconstitution naturelle du stock de poissons et notamment de morues ?

Une telle réflexion n’est pas sans importance car, au final, elle interroge la Première Guerre mondiale en tant que rupture. L’article du 17 février 1920 publié dans L’Ouest-Eclair pose ainsi la question du renouvellement de la flotte armée à la Grande pêche puisque de nombreux navires sont passés par le fond par les sous-marins allemands. La situation à Paimpol serait ainsi particulièrement critique. Mais ce qui, en définitive, perce sous la plume de ce journaliste, c’est la mécanisation progressive des armements et l’abandon de la pêche à la voile : « C’est le chalutier à vapeur qui semble avoir tué la pêche des goélettes dans les mers d’Islande. Espérons qu’il n’en sera pas de même sur les bancs de Terre-Neuve ».

Carte postale. Collection particulière.

Ce faisant, la Grande Guerre apparaît comme un accélérateur, pour ne pas dire qu’elle constitue un effet d’aubaine, d’une tendance qui lui est largement antérieure. Autrement dit, si les marins retournent sur les bancs une fois la Première Guerre mondiale finie, ceux-ci n’ont pas toujours le même aspect qu’avant 1914…

Erwan LE GALL

 

 

1 A ce propos, nous renverrons à sa communication lors du colloque La Grande Guerre des Bretons. Vécu(s), Expérience(s), Mémoire(s), 1914-2014, Actes à paraître.

2 Sur cette question on se réfèrera au stimulant propos de HARISMENDY, Patrick, « Algérie-France : sortie(s) de guerre et entrée en paix », in HARISMENDY, Patrick et JOLY, Vincent, Algérie sortie(s) de guerre 1962-1965, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 9-13.