Les Beatles en tant qu'événement

Alors que les amateurs de rock and roll du monde entier pleurent la mort de Ray Manzarek, l’inoubliable clavier des Doors, il ne semble pas inutile de revenir sur un anniversaire qui, à notre sens, constitue un véritable événement : il y a cinquante ans, le 22 mars 1963, Please Please Me, une chanson créditée Lennon/McCartney, devient le premier numéro 1 des Beatles en Grande-Bretagne.

Loin de nous l’idée saugrenue de juger de la qualité d’une œuvre au prorata des exemplaires vendus. Nous devons même plutôt avouer un réflexe inverse même si, force est de l'admettre, lorsqu’il s’agit des Beatles, on ne peut que s’incliner devant le talent.

Mendips, la maison où est composée Please Please Me. Wikicommons.

Il est sans doute superflu de détailler ici l’histoire de cette chanson, probablement écrite par le seul John Lennon dans sa chambre de Mendips, la maison de sa tante Mimi Smith, la seule figure féminine stable de son enfance. En revanche, il nous semble essentiel de revenir sur ce que dit une telle chanson de cette période. En effet, il est incontestable que l’accession de ce Please Please Me à la première place du hit-parade est un événement, au sens historique du terme, en ce qu’il définit un avant et un après. En d'autres termes, c'est bien d'une véritable rupture dont il s'agit ici.

Le succès de Please Please Me change bien évidement radicalement le destin de ces quatre garçons dans le vent, emportés par une Beatlesmania qu’eux seuls peuvent arrêter, en mettant fin à leur destinée commune. Mais, plus encore, ce tube change la musique et la manière dont elle est perçue et reçue. Non seulement le rock acquière ses lettres de noblesse avec ce groupe génial mais la musique devient réellement pop, au sens premier du terme, populaire, ce qui n’est pas sans certaines ambiguïtés.

Bien entendu, ce Please Please Me représente pour celles et ceux qui l’écoutent une véritable lame de fond de modernité. Il est en effet difficile de se représenter combien, pour les jeunes qui en France devaient auparavant se contenter de Marcel Amont, André Verchuren, Edith Piaf voire des Compagnons de la Chansons, les Beatles peuvent être synonymes d’accélération du temps, de basculement vers la modernité. Avec les Beatles, même s’il est évidemment difficile de dire quelle est leur influence effective dans ces mutations sociétales, pas de moment 68, pas de Summer of Love, faces émergées d’un iceberg de profondes remises en cause de l’ordre établi...

Mais cette modernité a également son revers puisque les Beatles sont indissociables de leur succès, qu’ils doivent notamment au talent du producteur George Martin, véritable sorcier des studios d'Abbey Road, mais aussi au génie visionnaire du manager Brian Epstein. C’est là une face plus sombre et plus ambigüe de l’histoire du rock, celle qui certes voit des groupes composer de magnifiques standards mais aussi conquérir tous les marchés planétaires au moyen de stratégies marketings particulièrement élaborées. Et qui mieux que John Lennon et Mick Jagger pour incarner cette modernité de l’industrie musicale ? Le premier n’est en effet peut-être pas tout-à-fait le gentil garçon sage que l’on croit trop souvent, tant il avait aimé jouer dans les strip-bars sordides de Hambourg tandis que le second est certes une icône des blousons noirs mais également un étudiant de la très convenable London School of Economics. Il est en effet acquis que le combo du trio Mick Jagger / Keith Richards / Brian Jones ne serait pas les Rolling Stones sans le coup de patte visionnaire du producteur Andrew Loog Oldham.

Oui décidément, ce Please, Please Me est un événement, pour les amoureux du rock bien entendu mais aussi, et peut-être même surtout, du point de vue de l’histoire culturelle, et plus particulièrement de l’histoire de la diffusion des productions artistiques.

Erwan LE GALL