C’est l’homme qui prend la mer

« Celui qui attend que tout danger soit écarté pour mettre les voiles, ne prendra jamais la mer ». Cette citation du physicien anglais Thomas Fuller résume bien le lien inextricable entre la mer et le danger. Le risque zéro n'existe pas et n'existera jamais, même si les hommes tentent de le réduire. En Envor vous en parlait il y a quelques semaines à l’occasion du décès de Guy Cotten, inventeur d’une combinaison de survie révolutionnaire. Alors que la Semaine du Golfe s'annonce, il semble intéressant de revenir sur l'histoire contemporaine du sauvetage en mer.

C’est au début du XIXe siècle que des sociétés de sauvetage en mer apparaissent en France. Ce sont des structures locales dotées d’un budget réduit et donc d’un équipement sommaire qui limite leur efficacité. L'opinion publique est de plus en plus sensible aux naufrages. Celui de la frégate Sémillante au large de l’archipel des Lavezzi, alors qu'elle partait rejoindre les troupes en Crimée, suscite l'émoi de la population. Les 700 disparus recoivent un hommage resté célèbre dans les Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet. A la suite de ce drame, Napoléon III engage une réflexion nationale et réunit alors une commission placée sous la responsabilité du ministère des Travaux Publics. Cette dernière préconise la création d'une société privée qui recevrait le concours de l'Etat. Approuvée en 1864, la Société centrale de sauvetage des naufragés (SCS) voit officiellement le jour en 1865 sous la présidence de l’amiral Rigault de Genouilly.

Le port de Douarnenez, probablement au début des années 1930. Carte postale, collection privée.

Son succès est rapide, notamment en Bretagne où se multiplient les stations : à Saint-Malo et Audierne en 1865,  à Groix, Ouessant et Roscoff en 1866,  au Conquet et sur l’île de Sein en 1867... Partout en France, les différentes sociétés locales finissent par s'unir, renforçant l'efficacité de la SCS. Cette dernière incite également l'avocat et sauveteur rennais Henri Nadault de Buffon a créer en 1873, les Hospitaliers-Sauveteurs Bretons (HSB), œuvre qui se veut également être une « société de bienfaisance, de moralisation et d’encouragement au bien».

Au début du XXe siècle. de nombreuses villes sont dotées de postes de secours, sécurisant quelque peu la mer pour les marins, mais également les plaisanciers et les baigneurs de plus en plus nombreux. L'efficacité de la SCS est alors très largement relayée dans la presse. Le sauvetage  d'Audierne en 1912, est certainement l'un des plus célèbres. En pleine tempête, le canot Général Béziat  sauve les dix hommes composant l'équipage du trois-mâts norvégien Bessel.

De la même manière, tous les ans, la SCS organise une remise des prix, cérémonie d'autant plus prestigieuse qu'elle se déroule en Sorbonne. L'édition de l'Ouest-Eclair du 8 mai 1933 décrit celle présidée la veille par le vice-amiral Lacaze qui récompense les plus valeureux sauveteurs de l'année dont un patron de Bréhat, âgé 63 ans, qui a sauvé 19 vies lors des douze derniers mois. Elle rend également hommage au sauvetage d'Audierne effectué 20 ans auparavant.

L'Abri du Marin de Douarnenez, Carte postale (détail), collection privée.

Une telle cérémonie permet certes de rendre hommage au courage de ces hommes. F. Caille a d'ailleurs montré dans un article désormais classique combien les procédures aboutissant à ces distinctions sont, dès le XIXe siècle, éminement pointilleuses. Mais de telles manifestations sont également un moyen de sensibiliser aux dangers de la mer et à la nécessité pour les marins de se former en conséquence. Une telle initiative n'est pas sans rappeler les efforts de Jacques de Thézac au début du XXe siècle. Conscient que les matelots ne savent souvent ni nager ni naviguer (le rôle étant souvent réservé au patron), ce  philanthrope essaye de moraliser les pêcheurs afin que la mer deviennent plus fiable. Il lutte contre l'alcoolisme en proposant gratuitement la fameuse tisane à l’eucalyptus qu'il fait distribuer dans les Abris du Marins créés à partir de 1899, il souhaite éduquer les marins au progrès (usage des flotteurs de liège, des moteurs à pétrole…) et, enfin, il souhaite leur enseigner les savoirs élémentaires à travers des moyens ludiques en organisant, par exemple, des concours de nage en tenue.

Yves-Marie EVANNO