Le cadastre : la source de la propriété foncière

Le cadastre est une formidable source pour comprendre comment le travail de l’historien peut dépasser l’objet premier de l’archive. En effet, le cadastre est d’abord établi dans un but fiscal. Il s’agit d’un ensemble de plans parcellaires et de fichiers administratifs – les matrices cadastrales – qui recensent l’ensemble des propriétés foncières bâties et non bâties d’un territoire communal.

Extrait du cadastre d'Amanlis, en Ille-et-Vilaine. Arch. Dép. I&V: Section E1, Parcelles 1-405.

Sous l’Ancien régime, seules les propriétés seigneuriales bénéficient de tels plans. On parle alors de plans terriers qui représentent la description des terres et censives1 dépendant d'un seigneur. C’est lors de la Révolution que la propriété foncière devient la base du système fiscal français. Il devient alors nécessaire d’établir un cadastre pour mettre en place ce système fiscal. Les modalités de constitution du cadastre sont précisées dans la loi du 16 septembre 1791 : « Lorsqu'il sera procédé à la levée du territoire d'une commune, l'ingénieur chargé de l'opération fera d'abord un plan de masse qui présentera la circonscription de la commune et sa division en sections, et formera ensuite les plans de détail qui composeront le parcellaire de la commune ». Mais il faut attendre le Premier empire et la loi du  15 septembre 1807 pour voir s’instituer un cadastre parcellaire unique par commune et centralisé. C’est pourquoi l’on parle de cadastre napoléonien ou d’ancien cadastre pour ceux qui datent de la première moitié du XIXe siècle.

Concrètement, le cadastre communal est subdivisé en sections, et chaque section en feuilles. Sur chaque feuille figure une ou plusieurs parcelles, unité de la propriété foncière. Les matrices se présentent sous la forme d’un tableau dans lequel on trouve les numéros des parcelles indiqués sur le plan avec le nom du propriétaire, sa profession et son adresse, le lieu-dit ou l’adresse de la parcelle, la nature de la propriété (bâtiments d’habitation, terre, pré, étang, bois etc.), la contenance de la parcelle exprimée en hectares, ares, centiares et des indices d’ordres fiscaux sur la qualité du bien et sa valeur locative.

Cette source est très utile à l’historien, bien au-delà de l’objet fiscal du document d’archive. En effet, autant les plans que les matrices recèlent une mine d’informations utiles aux travaux de recherches. Le cadastre peut ainsi permettre de reconstituer les propriétés foncières d’un individu en mettant en parallèle les matrices et les plans, comme par exemple celles de Jean-Baptiste Chevrel, marchand de toiles à Amanlis et propriétaire du manoir du Gros-Chêne au début du XIXe siècle2 :

Propriétés foncières de Jean-Baptiste Chevrel, au lieu-dit « Le Gros Chêne » à Amanlis en 1837. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine – 3P 5235. Carte: Thomas Perrono.

On peut également déceler de nombreux indices sur les activités économiques présentes sur le territoire. Toujours à partir de l’exemple d’Amanlis, on remarque de nombreux plans d’eau le long de la rivière au lieu-dit de Néron, où résident et travaillent plusieurs marchands-fabricants de toiles. En fait, il s’agit ici de routoirs qui servent à la transformation du chanvre en fil. Le cadastre est la seule source qui nous permette de localiser et de mieux comprendre le fonctionnement de cette activité proto-industrielle, plus aucune trace de ceux-ci n’étant visible à notre époque.

Sur la longue durée, le cadastre permet également d’étudier l’évolution du paysage urbain ou rural d’un territoire. En effet les plans cadastraux sont régulièrement remis à jour depuis le XIXe siècle. Et heureusement d’ailleurs puisque le cadastre napoléonien est très largement obsolète de nos jours, depuis notamment les grandes opérations de remembrement dans les zones rurales bretonnes après la Seconde Guerre mondiale. Le parcellaire agricole est ainsi très largement bouleversé dans sa physionomie et la propriété foncière est redistribuée pour constituer des propriétés moins éclatées.

A l’heure actuelle, les plans cadastraux anciens font l’objet de vastes opérations de numérisation, afin de les préserver d’une usure souvent avancée. En ce qui concerne les archives départementales bretonnes, vous pouvez les consulter à ces adresses :

- le cadastre ancien des communes des Côtes-du-Nord, aujourd’hui Côtes-d’Armor.

- le cadastre ancien des communes du Finistère.

- le cadastre ancien des communes d’Ille-et-Vilaine.

- le cadastre ancien des communes de Loire-Atlantique.

- le cadastre ancien des communes du Morbihan.

Le cadastre actuel est quant à lui disponible sur un site du Ministère des Finances.

Thomas PERRONO

 

 

1 Une censive est une propriété foncière qu'un seigneur de fief concède contre le paiement perpétuel d'un impôt appelé le cens.

2 PERRONO, Thomas, « La production toilière en Ille-et-Vilaine au XIXe siècle : un témoignage d’une époque révolue ? », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°3, hiver 2014, en ligne.