Le bocage breton et son remembrement : digressions autour de la notion de « paysage »

Lorsque l’on évoque les paysages de Bretagne, viennent à l’esprit les côtes découpées et les criques charmeuses de l’Armor, ainsi que les forêts mystérieuses et le bocage agricole de l’Argoat. Mais au-delà de ces clichés, comment peut-on définir la notion de « paysage » ? Pour cela, prenons appui sur l’exemple du bocage breton et de son remembrement dans les années 1950-1960.

Dans les environs de Plumelec (Morbihan), avant le remembrement). Carte postale. Collection particulière.

Pour commencer, qu’est-ce que le  bocage ? Si l’on utilise une définition « en négatif », on dira que cela recouvre l’espace rural qui n’est ni la forêt (environ 10% du territoire), ni la lande (environ 10 à 15%). Le bocage est donc l’espace de la culture agricole : les champs, les chemins et routes, ainsi que l’habitat rural, qu’il soit dispersé ou bien regroupé dans les bourgs. C’est un territoire construit pour la production économique. Il est en perpétuelle évolution. A ce titre, le remembrement opéré après-guerre en est une majeure. Cette opération est organisée collectivement, à l’échelle de la commune. L’objectif est de redistribuer les terres, en permettant de constituer des propriétés agricoles d’un seul tenant et proches de la ferme. Le remembrement implique donc d’araser les talus et les haies, d’élargir la voirie, voire de modifier les cours d’eaux. Il s’agit alors d’accompagner la modernisation de l’agriculture. Comme le montre ce reportage de l’ORTF daté de novembre 1965, le remembrement à Plumelec, en cours depuis une dizaine d’années, est apprécié plutôt positivement par les paysans. L’agrandissement des parcelles permet notamment d’intensifier l’élevage bovin. La petite polyculture d’autosubsistance recule. La disparition des petites fermes permet l’agrandissement des autres. Les conditions de travail s’améliorent : les clôtures électriques évitent de mobiliser un berger pour faire paître les bêtes. Ici, le paysage de bocage se définit par l’action des hommes sur leur environnement  naturel. Cette définition se rattache à la géographie « classique » de Vidal de la Blache, ce géographe du tournant des XIXe et XXe siècles qui a édité de nombreuses cartes géographiques qui ont décoré tant de classes d’écoles primaires.

Mais l’homme agit parfois sur la nature en introduisant de nouvelles espèces végétales, ce qui est, entre autres, le cas du pommier en Bretagne à partir du  XVIe siècle. Cet arbre est pourtant jugé, aujourd’hui, comme un marqueur identitaire du paysage rural breton de « carte postale ». Comme si celui-ci avait toujours poussé sur ces terres. La notion de « paysage » s’enrichit alors d’une dimension culturelle et identitaire. Le paysage devient un objet construit intellectuellement, un point de vue subjectif porté sur un morceau de territoire. Le paysage rural breton n’existerait donc que par les signes identitaires que l’on y rattache.

Plumelec au début des années 1970. Carte postale. Collection particulière.

Cela se complique encore, quand ces points de vue divergent, voire s’opposent. Ce qui est largement le cas autour du bocage post-remembrement. Car si les oppositions au remembrement étaient peu nombreuses dans les années 1960, et se bornaient bien souvent à des conflits autour de la redistribution  des terres ; l’émergence des notions d’environnement et d’écologie dans les années 1970-1980 forme une opposition a posteriori au remembrement. Une vision naturaliste du paysage bocager s’impose alors : les talus et les fossés sont vus comme des remparts à l’agriculture intensive jugée pollueuse. Ces dernières années, des grandes opérations de replantation de haies bocagères voient le jour dans les campagnes bretonnes. Le paysage devient un patrimoine à protéger, comme si le bocage avait été immuable avant le remembrement. Ce qui est en grande partie une fausse idée. Ce reportage radiophonique de France culture, réalisé en 1974 dans cette même commune morbihannaise de Plumelec, plaide l’idée d’un retour au paysage rural existant au début du XIXe siècle. L’agriculteur interrogé s’appuie sur le premier cadastre communal, datant de l’époque napoléonienne, pour expliquer que la multiplication des haies et des talus entre les années 1850 et 1950, n’est le résultat que du découpage à l’infini de l’espace agricole entre les différentes générations d’héritiers du foncier.

Enfin, l’émergence actuelle de nouvelles activités récréatives et touristiques dans l’espace rural breton, change une nouvelle fois la perception du paysage. Une sorte de « néo-bocage »1, plus seulement tourné vers l’activité agricole, achèverait de donner sa dimension culturelle à la notion de paysage.

Thomas PERRONO

 

1 CROIX Nicole, « Bocage », Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 148.