Le rapport Pinczon du Sel, source du Mur de l’Atlantique

L’étude du Mur de l’Atlantique, construit par les Allemands au cours de la Seconde Guerre mondiale, bénéficie d’un rapport fondamental conservé au Service historique de la Défense, à Vincennes : le rapport Pinczon du Sel. Il en existe des copies dans les autres centres du Service historique de la Défense : à Brest, il est ainsi connu sous le nom de rapport Seyeux-Delpeuc’h, du nom de ses deux auteurs. Le capitaine de vaisseau Delpeuc’h publie en décembre 1947 un article intitulé « Le Mur de l’Atlantique » dans la revue Marine Nationale, afin de dresser les premières conclusions de cet inventaire. Maurice Edmond Seyeux est, quant à lui, un capitaine de vaisseau représentant la Marine et commandant le secteur de défense de Brest.

Vue des obstructions et défenses anti-débarquement de l'anse de Dinan, n° 134, rapport Pinczon du Sel. Livre IV, vers 1947. Service Historique de la Marine, Brest.

Dès 1944, l’amiral Lemonnier, chef d’État-Major général de la Marine, fait relever la liste et les plans des ouvrages et obstacles du Mur de l’Atlantique, afin de garder dans les archives le bilan de ces travaux et les dispositions que le commandement allemand avait prises ou envisagées, et afin de dégager, pour l'avenir, les enseignements de la dernière guerre. À partir de 1946-1947, l’État-Major général de la Défense nationale se préoccupe du classement de ces édifices en créant la Commission de classement des ouvrages militaires construits en France durant les hostilités, future Commission de classement des ouvrages ex-allemands rattachée ensuite à la Commission de déclassement et d’aliénation des ouvrages anciens.

Ce classement a pour but la récupération et la conservation d’ouvrages ex-allemands pour l’organisation défensive et l’équipement économique du pays. En effet, aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, et notamment lorsqu’on sait combien les combats de la Libération puis autour des poches furent durs, en 1948, ces ouvrages sont considérés comme un « capital pour le pays en cas de conflit futur ».

La Commission de classement des ouvrages ex-allemands est divisée en deux sous-commissions se répartissant l’inventaire suivant des critères purement géographiques :
- La sous-commission de classement des ouvrages militaires de l’Intérieur construits pendant les hostilités, dépendant de l’Inspection du Génie, recense la série d’abris situés à l’arrière de la ligne côtière, un certain nombre de carrefours routiers, quelques embryons de front de terre protégeant certains points. Cet inventaire est conservé au Service Historique de l’Armée de terre à Vincennes.
- La sous-commission des ouvrages de côtes, relevant du Ministère de la Marine, travaille sur ce qui deviendra le rapport Pinczon du Sel.

Sont considérés comme ouvrages côtiers non seulement ceux édifiés sur le littoral, mais ceux construits sur une profondeur de quatre kilomètres environ à l’intérieur des terres. Derrière la question du recensement se pose en réalité la question de la conservation et du partage de ces ouvrages militaires. En Bretagne, l’Armée de terre et la Marine se les disputent. Une réunion de conciliation a lieu à Rennes en 1946 afin de confronter les listes d’ouvrages et d’établir un classement provisoire des édifices à conserver. Finalement, la Marine dispose d’un droit de préemption sur l’ensemble des ouvrages côtiers.

Vue de la batterie lourde de Ranorgat, n° 73, rapport Pinczon du Sel. Livre IV, vers 1947. Service Historique de la Marine, Brest.

Organisé sous forme de dossiers dénommés livres, le rapport Pinczon du Sel est la synthèse des travaux de recensement effectués par les enquêteurs de la Marine. Il recense 15 000 ouvrages bétonnés dont 4000 importants et 9300 batteries d'artillerie. Il décrit les bâtiments, les obstacles, le terrain, et relate les évènements liés à ces ouvrages de défense (logement de la troupe et du commandement, déroulement de la Libération). Toutes les fortifications allemandes sont évoquées, du moindre nid de mitrailleuse à la batterie de 280 mm, des mines marines aux tranchées, avec quelques éléments topographiques (route, pont, château d’eau, maison, phare…). Il comporte des photographies et des plans schématiques des principaux ensembles ou ouvrages défensifs. Deux volumes concernent la Bretagne : du mont Saint-Michel à la Laïta et de la Laïta à la baie de Bourgneuf.

Le rapport Pinczon du Sel revêt un indéniable aspect documentaire mais il est aussi critiqué pour son manque de précision par moments (notamment dans la localisation précise de certains éléments). Son exhaustivité est également, parfois, mise en cause. Pour ceux que le sujet intéresse, nous précisons qu’un inventaire des fortifications militaires ne datant pas uniquement de la Seconde Guerre mondiale, a été effectué par Guillaume Lécuillier pour le Service de l’Inventaire en Région Bretagne, et est consultable en ligne. Cet auteur en a tiré quelques ouvrages.

Johan VINCENT