Les dossiers des déportés et internés de la Résistance : entre archives et reconnaissance

Loin de nous l’idée de vouloir critiquer les usages du numérique en histoire, ce qui serait tout de même particulièrement mal venu de notre part, mais internet n’est néanmoins pas sans effets pervers. C’est ainsi par exemple qu’à force de consulter et indexer les fiches des morts pour la France dans le cadre du défi 1 jour 1 poilu, on en oublierait presque que celles-ci existent physiquement, sous format papier et pas uniquement digital. C’est à Caen, au sein de la Division (qui fut longtemps un Bureau) des Archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC) du Service historique de la Défense que sont conservés ces précieux documents. Et là n’est d’ailleurs par le seul trésor que l’on peut y consulter, comme le rappelle le dernier inventaire produit par ce méconnu mais extrêmement dynamique service : l’inventaire des 55 788 dossiers de déportés et internés résistants.

Carte d'interné résistant délivrée à Georges Lapeyre le 3 février 1956. Musée de la Résistance en ligne / Collection Fabrice Bourrée, droits réservés.

Afin de mieux comprendre ce que sont ces documents il faut se demander pourquoi c’est à Caen, en Normandie, qu’on peut les consulter. Rien à voir avec le Mémorial ni même avec les plages du Débarquement : c’est l’ambition politique de Louis Mexandeau, alors Secrétaire d’Etat aux anciens combattants mais qui cherchait à emporter la mairie du chef-lieu du Calvados, qui est à l’origine du transfert de ces archives. Agrégé d’histoire, ce vieux compagnon de route de François Mitterrand sait que délocaliser des activités, donc des emplois, dans une circonscription électorale est encore le meilleur moyen de s’y faire élire. Sauf qu’ici le calcul n’a jamais marché puisque Louis Mexandeau, malgré une belle carrière politique, ne sera jamais maire de Caen.

Sans surprise, les archives qui sont consultables au sein de la DAVCC sont donc celles qui étaient sous la responsabilité du Secrétaire d’Etat aux Anciens combattant d’alors. En l’occurrence, il s’agit de documents produits par l’ancien Ministère des pensions relatifs au titre de déporté et/ou interné de la Résistance. Celui-ci, instauré par une loi du 9 septembre 1948, « est ouvert à toute personne qui, ayant œuvré pour la cause de la Résistance française, a été arrêtée, internée et (ou) déportée, à la condition expresse que la cause déterminante de leur internement ou de leur déportation soit un acte qualifié de résistance à l'ennemi ». L’inventaire que vient de mettre en ligne la DAVCC consiste en une vaste liste de noms qui renvoient tous à un dossier individuel, consultable sur place. La Bretagne y est largement représentée puisque, à titre d’exemple, on trouve 152 dossiers de natifs de Rennes, 649 du Morbihan.

Il s’agit donc là d’un outil extrêmement précieux auquel on se réfèrera bien volontiers. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que cet inventaire des 55 788 dossiers de déportés et internés résistants qui vient d’être mis en ligne ne renvoie pas à des sources de la Seconde Guerre mondiale mais à des documents produits après le conflit, dans le cadre de l’application du droit à réparation tel qu’il est instauré après la Grande Guerre par la loi du 31 mars 1919. On notera d’ailleurs que chiffre de 55 788 diffère largement des quelques 89 000 déportés par mesure de répression partis de France recensés par la Fondation pour la mémoire de la Déportation.

Vue générale du camp de Flossenbürg. Wikicommons.

C’est là un biais qu’il faut avoir constamment en tête car, fondamentalement, ces archives renseignent moins sur la Résistance et la Seconde Guerre mondiale que sur l’action après le conflit du Ministère des pensions. Bien entendu, dans le cadre d’une recherche sur la période 1939-1945, ces archives peuvent s’avérer extrêmement intéressantes et on conseillera même de les croiser avec les dossiers de Combattants volontaires de la Résistance qui ont pu être attribués par les services de l’Office national des anciens combattants et qui peuvent, eux-aussi, êtres des plus profitables. Mais, là encore, la prudence reste de mise. Ecrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale avec des archives produites a posteriori n’est en effet pas chose aisée.

Erwan LE GALL