Dans les filets de l'Euro 84 : des tirs, des ballons et des poissons...

« L’histoire apprend que la France a toujours tenu un rôle important sinon décisif dans la création des compétitions mondiales ou européennes. Son esprit innovateur n’a jamais été récompensé. Pas un seul titre jusqu’à présent. »

Lorsqu’il écrit ces lignes le 12 juin 1984 dans le quotidien Ouest-France, le journaliste Roger Glémée regrette l’absence de ligne au palmarès de l’équipe de France de football. En effet, à quelques heures de l'ouverture du championnat d'Europe en France, les tricolores ne sont guère parvenus à se hisser plus haut qu'une troisième place lors de la Coupe du monde 1958 organisée en Suède1. Pire, Roger Glémée déplore – déjà – la situation générale du football français qui « aujourd’hui […] ne possède plus de grands clubs ». L'Euro 84 est donc l'occasion d'ouvrir enfin la vitrine aux trophées grâce aux coéquipiers de Michel Platini qui, deux plus tôt, avaient pris une très belle quatrième place au Mondial espagnol.

Sticker Panini figurant l’équipe de France participant à l’Euro 84. Collection particulière.

Sur le terrain, la France enchaîne rapidement les bons résultats, remportant notamment, le 16 juin, une large victoire 5-0 face aux Belges au stade de la Beaujoire à Nantes. Si les observateurs soulignent des difficultés dans le jeu, les joueurs parviennent néanmoins à franchir toutes les marches qui les séparent de la finale. Ce sera contre l'Espagne, à Paris, au Parc des Princes.

L'adversaire n'est pas anodin et l’avant match prend rapidement une tournure  politique. Les relations entre Madrid et Paris sont alors particulièrement fraîches. En effet, depuis plusieurs mois, le gouvernement français dénonce la multiplication des infractions des pêcheurs espagnols qui viennent poser leurs filets « sans licence dans la zone économique française » et, naturellement, sans respecter les quotas. Le 7 mars 1984, dans le golfe de Gascogne, la marine française exécute scrupuleusement les consignes officielles et ouvre le feu, après plusieurs sommations, sur deux chalutiers espagnols, le Burgoa Munde et le Valle de Atxondo. Huit pêcheurs sont blessés par un éclat d'obus. Transférés sur Lorient, l’un d’eux est amputé2.

Cette affaire vient alourdir davantage les relations franco-espagnoles rendues difficiles par la perspective de l’adhésion de l’Espagne à la Communauté économique européenne. De même, la difficile coopération de lutte contre les attentats revendiqués par l'organisation Euskadi Ta Askatasuna vient compliquer les choses. Or, si « les esprits se sont certes calmés » depuis le mois de mars, un journaliste du quotidien rennais craint « qu’une victoire espagnole ne soit mise à profit par certains secteurs de ce pays à des fins politiques » (Ouest-France, 27 juin 1984).

Dans ce contexte, il n’est donc pas surprenant de constater que, la veille de la finale, une partie de la presse espagnole se soit déchaînée contre le sélectionneur français Michel Hidalgo après ses propos diffusés sur une radio espagnole : « les joueurs espagnols sont mauvais et vicieux », ils sont de surcroît des « moins que rien ». Mais surtout, ce dernier clame « qu’il fallait couler [l]es chalutiers, qu’il fallait brûler tous les camions espagnols ». Ces révélations provoquent l’incompréhension du clan français, et pour cause, il s’agissait de l'imitation d’un humoriste espagnol repris sans vérification dans les médias ibériques. Ils sont seulement démentis le lendemain de la finale.

Carte postale publicitaire figurant Michel Hidalgo, sélectionneur de l'équipe de France. Collection particulière.

Qu’à cela ne tienne, le 27 juin, en dépit d’un match moyen, « un ballon ensorcelé » permet à Michel Platini d’ouvrir le score à la 57e minute. Malgré l’expulsion du Finistérien Yvon Le Roux à la 85e minute, les Français tiennent et Bruno Bellone s’offre le luxe d’inscrire un second but dans les dernières secondes. « Le jour de gloire » est enfin arrivé pour le football français (Ouest-France, 28 juin 1984). Les préoccupations politiques sont laissées de côté, seule la victoire importe. Désormais, les lecteurs bretons peuvent se tourner sereinement vers le Tour de France cycliste qui commence deux jours plus tard, en souhaitant connaître de nouvelles émotions grâce à Bernard Hinault.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Cette même année, l’équipe de France s’appuie sur le duo Raymond Kopa et Just Fontaine. Ce dernier inscrit 13 buts, record toujours en vigueur. Par ailleurs, Roger Glémée souligne que le palmarès des clubs est également vierge...

2 Pour plus de détails sur cette affaire, voir JEANNEL, Roger, « L'incident de pèche franco-espagnol du 7 mars 1984 dans le golfe de Gascogne », Annuaire français de droit international, 1986, vol. 32-1, p. 736-740.