De la chute à la Bastille : la naissance d’un champion?

Le Dauphiné Libéré, qui se déroule chaque année au mois de juin, est pour de nombreux coureurs cyclistes une étape incontournable dans la perspective du Tour de France. Il y a en effet un lien inextricable entre les deux courses. Le palmarès le prouve, les hommes qui réussissent au Dauphiné sont souvent performants dans la conquête du mythique maillot jaune. A l’inverse, une mauvaise chute en juin peut soudainement briser tout espoir de briller en juillet, le reste de la saison, voire le reste d’une carrière. Le cyclisme est un sport dangereux. Il faut parfois beaucoup d’abnégation pour remonter sur le vélo et ignorer les brûlures d’une mauvaise glissade sur le bitume.

Carte postale commémorant la victoire de Bernard Hinault dans la célèbre classique Liège-Bastogne-Liège. Collection particulière.

Du courage, Bernard Hinault en a. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise dans la mémoire collective.  Dur au mal, têtu… quoi de plus normal pour un Breton diront certains. Quoi qu’il en soit, le « blaireau » écrit une page fondatrice de sa légende en 1977 lors du Dauphiné Libéré. Il n’est alors qu’un jeune coureur qui vient de se révéler au grand public quelques semaines plus tôt en terminant cinquième de Paris-Nice puis en remportant Gand-Wevelegem et Liège-Bastogne-Liège.

Dès le départ de la course, il domine ses aînés, les stars de l’époque : Eddy Merckx (quintuple vainqueur du Tour), Lucien Van Impe (vainqueur du Tour 1976), Bernard Thévenet (vainqueur du Tour 1975). Il prend dès la première journée le maillot jaune. Mais cela ne lui suffit pas. Lors de la cinquième étape il porte une nouvelle attaque dans le col de Porte. Hinault passe au sommet en tête. Mais plutôt que d’assurer dans la descente, il décide de prendre des risques. Le pari s’avère payant, le jeune Breton continue de prendre du temps jusqu’au désormais fameux virage… Les téléspectateurs assistent à la chute du coureur qui disparaît aussitôt dans le ravin. La scène est spectaculaire. Elle ravive chez les connaisseurs de mauvais souvenirs. Elle rappelle en effet la grave chute qui brise la carrière – et bien plus – du talentueux Roger Rivière lors du Tour de France 1960. Mais Bernard Hinault a de la chance : des arbres amortissent sa dégringolade. Très vite, on le voit apparaître puis remonter sur le vélo.

Rapidement la « blaireau » s’arrête. Encore sous le choc de sa mésaventure, il décide de jeter l’éponge. Son directeur sportif Cyril Guimard trouve les mots justes. Malgré la douleur, Bernard Hinault repart puis remporte l’étape à Grenoble, en haut du fort de la Bastille. Amoindri les jours suivants, il parvient néanmoins à assurer l’essentiel : huit petites secondes qui lui permettent de remporter le Dauphiné Libéré devant Bernard Thévenet (lequel remportera le Tour de France un mois plus tard).

Le col de Porte. Carte postale. Collection particulière.

Bernard Hinault se révèle alors au grand public comme un coureur téméraire. Un champion comme les aiment les supporters. La chute lors de l’étape de la Bastille est probablement le point de départ de sa légende. Sur le plan sportif, il n’est pas aligné au départ de la Grande Boucle en 1977. Qu’à cela ne tienne, il en fait la découverte en 1978 avec un succès à la clef. C’est en effet sur le bitume qu’il forge son autre réputation, celle d’un coureur insatiable aux nombreuses victoires.

Yves-Marie EVANNO