L’Enfer du Nord, paradis des Bretons ?

Plus de la moitié des vainqueurs français de la classique cycliste Paris-Roubaix sont, depuis 1945, des Bretons. En effet, sur les dix coureurs tricolores qui se sont imposés à Roubaix, on retrouve André Mahé (1949), Louison Bobet (1956), Bernard Hinault (1981), Frédéric Guesdon (1997), quatre hommes auxquels on peut ajouter le Mayennais Marc Madiot (1985 et 1991) « qui était affilié au Comité de Bretagne lorsqu’il courait chez les jeunes »1. Interpellé par cette récurrence, le journaliste P. Le Gars a mené son enquête le 9 avril 2015 dans les colonnes du quotidien L'Equipe pour comprendre l’origine de ce qu’il appelle « L'énigme bretonne ».

Carte postale publicitaire pour les cycles Gitane avec Bernard Hinault. Collection particulière.

Interrogés sur ce point, d’anciens coureurs donnent leurs explications. Pour Cyril Guimard, les Bretons ont la culture des courses de Pardon. Dès lors, c'est le « vent » et les « bosses » qui les formeraient aux spécificités de l'Enfer du Nord. Pour Bernard Hinault, reprenant à son compte la vieille théorie des climats de Montesquieu, ce sont les conditions atmosphériques qui forgent le caractère breton. De ce fait, les coureurs originaires de la péninsule armoricaine auraient plus « d'aptitudes que les autres ». De telles hypothèses, fondées sur des préjugés tenaces, sont anciennes. En 1995, le célèbre et très sérieux journaliste P. Chany affirmait que les Bretons sont « âpres dans la lutte, résistants à l'usure, fiers au point d'être susceptibles, et conquérants des terres lointaines »2. On peut même remonter plus loin lorsqu’en 1939, Roger Malher explique les succès bretons sur le Tour de France par leur opiniâtreté : « Comme quoi il est bien, vrai que les Bretons sont têtus et que sont les plus têtus qui gagnent »3. De plus, on peut ajouter que ce sont des discours en tous points comparables qui érigent le poilu breton en excellent soldat pendant la Première Guerre mondiale…4

Bien entendu, de telles affirmations ne suffisent pas à comprendre la réussite des Bretons sur Paris-Roubaix. Sinon, comment expliquer près de cinquante années de disette depuis la création de la course en 1896 jusqu’à l’édition de 1939 ? En effet, le seul véritable accessit breton est la troisième place du Finistérien Léon Le Calvez en 1933. Pourtant, à cette même époque, les courses de Pardon existaient déjà. Et que dire du climat armoricain ?

Pour obtenir un autre élément de réponse, il conviendrait plutôt de généraliser l’étude à l’ensemble des courses du calendrier. Prenons un exemple avec le Tour de France. Jean Robic, Louison Bobet et Bernard Hinault pèsent 9 des 21 victoires françaises au classement général d’après-guerre. En comparaison, entre 1903 et 1939, seul Lucien Petit-Breton remporte à deux reprises la course pour un ensemble de 15 succès français. Si on se penche sur les seules victoires d’étapes, l’équipe de l’Ouest « sous ses diverses appellations » est également la « région » la plus prolifique d’après-guerre selon F. Conord5. En quinze participations, elle remporte 24 étapes, un classement par équipe (1954) et un classement général (Robic, 1947).

Le départ de la course en 1968. Carte postale. Collection particulière.

La question de « l’énigme bretonne » et de cette excellence régionale ne doit pas seulement tenir compte des spécificités de Paris-Roubaix. Elle interroge de manière générale la popularité du cyclisme en Bretagne et probablement les vocations que ce sport suscite. Ainsi, au début du 21e siècle, les comités de Bretagne et des Pays de Loire font encore partie de ceux qui possèdent le plus de licenciés donc, statistiquement, le plus de vainqueurs potentiels. Quoi qu’il en soit, la France attend avec impatience son prochain champion, celui qui remportera Paris-Roubaix et, surtout, le Tour de France. Qu’il soit originaire de Bretagne ou d’ailleurs, cela aura bien peu d’importance aux yeux des passionnés.

Yves-Marie EVANNO

 

1 LE GARS, Philippe, « L'énigme bretonne », L'Equipe, 9 avril 2015, n°22 719, p. 13.

2 CHANY, Pierre, La fabuleuse histoire du Tour de France, Paris, La Martinière, p.428.

3 MALHER, Roger, « Têtu comme un Breton », Le Petit Parisien, n°27779, 13 juillet 1939, p. 6.  Pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à EVANNO, Yves-Marie, « Du cliquetis des pédales au bruit des bottes : un été cycliste perturbé en Bretagne (juillet-septembre 1939) », En Envor, revue d'histoire contemporaine en Bretagne, n°2, été 2013, en ligne.

4 Sur cette question on renverra à BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.

5 CONORD, Fabien, Le Tour de France à l'heure nationale, Paris, Presses Universitaires de France, 2014, p. 207.