La campagne du thon est assurément l'un des temps fort de la saison de pêche dans le Morbihan. Avec l'arrivée de l'été, les prémices de l'ouverture se font sentir. Ainsi, le 20 juin 1939, près de 200 bateaux se succèdent au port de Kéroman, à Lorient, pour « emplir leur glacière »1. Le cortège multicolore des navires - les fameux dundees - annonce un départ imminent.
Pendant près d'une centaine de jours, les thoniers vont faire des allers retours entre le large et leur port de débarquement. On l’oublie souvent mais la vitesse est une qualité essentielle à la pêche, moins en terme de capture de poissons que d’un point de vue économique. Le premier à débarquer à la criée est aussi celui qui peut profiter des cours les plus élevés. On voit donc que l'opposition entre une voile de travail, supposée lourde et lente, et un yachting orienté vers la performance ne résiste pas réellement à l'épreuve des faits.
Le dundee est un voilier de travail à la carène efficace et portant beaucoup de toile. C'est ce que montre cette vidéo du Biche, naviguant sous voile dans les années 1970 à Etel.
Les thoniers partent à chaque fois pour une quinzaine de jours durant lesquels les équipages se retrouvent livrés aux caprices de la mer. Si cette dernière fait la joie des baigneurs, elle est surtout une source d'angoisse pour les femmes des pêcheurs. La mer est dangereuse, les locaux la respectent. Le 24 juin, des messes sont célébrées dans de nombreuses paroisses et la traditionnelle bénédiction de la mer a lieu dans les coureaux de Groix2.
Tout est donc prêt pour le début de la campagne. Profitant de cette effervescence, le député-maire de Groix, Firmin Tristan a l'idée de créer en 1933, une régate de thoniers ! L'homme politique, qui multiplie les casquettes – il est président du Comité du Thon, de la Fédération des Maîtres-Pêcheurs de l'Océan et accessoirement conserveur – sait tirer profit de son réseau pour assurer le succès de son épreuve. S'il possède un soutien de poids avec le patronage du périodique national Le Matin, il obtient également le soutien de la presse locale qui relaye son épreuve. Ce sont donc de nombreux curieux qui arrive à Port-Tudy le dimanche 25 juin 1939 pour assister à la 7e édition de la Coupe de l'Atlantique3.
La flotte des dundee grésillons au mouillage à Port-Tudy. Carte postale, collection privée.
Le temps est au rendez-vous, suffisamment beau pour ne pas décourager les badauds et suffisamment venteux pour permettre aux participants de manœuvrer à leur guise. L'épreuve est originale à plus d'un titre puisqu’elle a la particularité de mettre ces navires en posture de travail : la régate se déroule en effet avec les tangons déployés (perches en bois longues d'une quinzaine de mètres supportant chacune 7 lignes). Bien sûr, on peut y voir l'éloge d'un navire devenu mythique et qui tente de résister à l'essor de la motorisation, tant décriée par les pêcheurs morbihannais4. Mais ce n'est pas pour autant qu'une journée de démonstration, c'est également une épreuve sportive qui se veut belle et bien sportive. Qui dit sport dit champion. En 1939, le champion et favori se nomme le Victoire-Noël, lauréat en 1937 et deuxième en 1938. Et puis, la prime de 3000 Francs offerte aux vainqueurs est un bon moyen de commencer sereinement la campagne de pêche, et est un moteur indéniable qui incite chaque équipage à se surpasser !
Peu après dix heures, 14 voiliers prennent le départ à Port Tudy de la régate qui les ramènent, 26 miles plus tard, au port groisillon. Après plusieurs heures de manœuvres habiles, le Victoire-Noël confirme les pronostics. Il franchit la ligne en vainqueur aux alentours de 17 heures 15.
La journée est un succès populaire et les curieux retournent sur le continent avec la dernière navette de 18 heures. Tant pis, ils ne peuvent profiter du bal donné sous la direction d'un « réputé » artiste local, le dénommé "Bidi Jazz" qui assure le spectacle pour près de 400 personnes jusque trois heures du matin. Hasard du destin, alors que la journée festive touche à sa fin, la 5e escadre arrive à Lorient. Le Cuirassé Courbet mouille alors près de Groix5. Tout le symbole d'un été sportif perturbé par la guerre.
Yves-Marie EVANNO
1 « Les grands thoniers s'en vont ... », Le Nouvelliste du Morbihan, 53e année, n° 196, 24 juin 1939, p. 6.
2« La bénédiction de la mer dans les coureaux de Groix. », L'Ouest-Eclair (éd. du Morbihan), n°15566, 25 juin 1939, p. 6.
3« Quatorze thoniers groisillons ont chaudement disputé la Coupe de l'Atlantique.», Le Nouvelliste du Morbihan, 53e année, n° 198, 27 juin 1939, p. 3, et « Les grandes régates de Groix. », L'Ouest-Eclair (éd. du Morbihan), n°15567, 26 juin 1939, p. 5.
4EVANNO, Yves-Marie, La pêche et le tourisme dans le Morbihan à l’épreuve de la guerre (1939-1945), Rennes 2, Mémoire de Master 2 sous la direction de BERGERE, Marc, 2008.
5« Venant de Toulon, la 5e escadre est arrivée à Lorient. », Le Nouvelliste du Morbihan, 53e année, n° 198, 27 juin 1939, p. 3.