Le rugby et la Bretagne

Lorsque le Japon bat contre toute attente l'Afrique du Sud lors de la Coupe du monde de rugby 2015, ce sont les médias du monde entier qui se passionnent. Et pour cause, une telle victoire contient tous les ingrédients d'une version contemporaine de David contre Goliath. En effet, la géographie du rugby parait par bien des égards figée figée : seules quelques nations se disputent les titres, et lorsque l'une d'entre-elle s'effondre, ce sont nos représentations qui s'effondrent avec elle. Pourtant, cette géographie n'est pas si simple à comprendre comme en témoigne la quasi-absence du rugby dans la péninsule armoricaine.

Carte postale. Collection particulière.

Inventé au 19e siècle en Grande-Bretagne, le rugby devient rapidement populaire outre-Manche, que ce soit en Angleterre, en Ecosse, en Irlande ou encore au Pays-de-Galles. Loin de se cantonner aux îles britanniques, il s'implante également dans l’empire de sa majesté et en France, enfin... dans sa moitié sud.

Son absence dans le Nord est surprenante. Elle l'est d'autant plus en Bretagne,  province celte où l'ancêtre (présumé) du rugby, la soule, fut populaire. Il se dit ainsi que le Morbihannais Georges Cadoudal excellait à ce jeu dans sa jeunesse. Mais surtout, toutes les conditions de son implantation sont réunies à la fin du 19e siècle. Ce qui vaut d’ailleurs pour la Bretagne mais aussi pour la Normandie, comme le souligne le géographe  Loïc Ravenel

«  la proximité des îles Britanniques s’impose par un faisceau ancien de relations qui participe à la création et aux fondements de l’image régionale. Les pratiques de loisirs ont ainsi traversé la Manche dès la fin du 19e siècle, aidées et soutenues par les nombreux réseaux tissés au fil des ans : réseaux touristiques, commerciaux, éducatifs par exemple. En second lieu, la Normandie était l’une des grandes zones touristiques en cette fin de siècle qui attirait une clientèle internationale, riche, oisive et ouverte aux nouveaux loisirs. »1

Mais si très tôt des équipes se créent dans le Nord, elles ne parviennent pas à se pérenniser, ni en Normandie, ni en Bretagne. En 2015, hormis La Rochelle, et deux clubs parisiens, les 11 autres équipes du Top 14 sont implantées dans le Sud. Pour retrouver trace d’une équipe bretonne, en l’occurrence Vannes et Saint-Nazaire, il faut descendre en Fédérale 1 (3ème division). Rares sont également les joueurs Bretons qui, comme le Finistérien Gérard Bouguyon (9 sélections en 1961), portent le maillot du XV de France2.

Une équipe de rugby, probablement aux alentours de la Première Guerre mondiale. Carte postale. Collection particulière.

Pour comprendre cette géographie, il faut en réalité remonter aux enjeux politiques de la fin du 19e siècle, en particuliers ceux relatifs à la laïcité. La discorde politique se répercute en effet sur les terrains des sportsmen dès lors  que les instituteurs laïcs adoptent le rugby et  que les patronages catholiques en font de même avec le football. Jean-Pierre Augustin et Alain Garrigou résument parfaitement ce clivage :

« dans les régions de forte pratique catholique et dans celles où la bourgeoisie catholique domine, c’est le football qui prend la première place. Il en est ainsi dans l’Ouest de la France, en Bretagne, en Normandie, mais aussi en Picardie et dans le Nord. »3

Mais pourquoi un tel écart se maintient aujourd’hui à l’heure de la globalisation et de l’uniformisation des goûts et des pratiques ? De plus, la Bretagne n’est-elle pas marquée par une génération d’hommes politiques de gauche qui à partir de la fin des années 1970 accèdent à de nombreuses responsabilités ? En réalité, il apparait que le retard pris par les les clubs du Nord de la France est trop important pour être comblé. C’est ce que rappelle Loïc Ravenel qui avance que « la distance, exprimée par les trajets à effectuer lors d’un championnat, est un facteur limitant en raison des coûts de transport élevés pour des budgets relativement limités dans le cadre d’une pratique amateur ». Le retard pris ne se rattrape peut-être pas, mais la ferveur naissante pour ce sport en Bretagne laisse augurer de belles années.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 RAVENEL, Loïc « Pourquoi n’y a-t-il pas de rugby en Normandie ? », Norois, 2004/1, en ligne.

2 Il est peut-être le seul sauf si l’on considère les plus ou moins lointaines origines bretonnes d’Yves du Manoir (8 sélections entre 1925 et 1927) et de Jean Le Droff (9 sélections entre1963 et 1971).

3 AUGUSTIN, Jean-Pierre et GARRIGOU, Alain, Le rugby démêlé. Essai sur les associations sportives le pouvoir et les notables, Bordeaux, Le Mascaret, 1985, p. 32, cité par RAVENEL, Loïc, art. cit.