Le portrait d'une génération

C’est à un exercice particulièrement périlleux que se livre T. Guidet, celui qui consiste à dresser le portrait de cette génération d’élus arrivés, dans l’Ouest, au pouvoir en 1977 à la suite des élections municipales1 : parmi les plus emblématiques, citons Edmond Hervé à Rennes, Alain Chénard à Nantes, Jean-Marc Ayrault à Saint-Herblain ou encore Jean-Yves Le Drian à Lorient. Si la tâche est ardue, c’est bien entendu  du fait de son objet, par ailleurs résolument ancré dans le temps présent, ce qui n’arrange rien.

En effet, qu’ont en commun ces élus si ce n’est d’arriver au pouvoir à peu près en même temps et, manifestement, de se reconnaitre en une même « génération 1977 » ?  La Rose et le granit – un titre que n’aurait sans doute pas renié Libération – avance deux éléments  essentiels de réponse, l’un renvoyant aux origines sociologiques des hommes – il n’y a pas de femmes dans cette génération – politiques étudiés, l’autre à leurs réalisations.

Edmond Hervé, figure emblématique de cette génération de 1977. Wikicommons.

Tous ces élus ont en commun d’appartenir à un milieu social modeste, plus ou moins fortement teinté de catholicisme social, un élément absolument déterminant à en croire T. Guidet. Il y a bien entendu un certain nombre de trajectoires balisées par un passage aux Jeunesses chrétiennes ou à la CFDT. Mais ce qui unit ces décideurs c’est un commun pragmatisme car « plus encore que la foi ou que la pratique religieuse, c’est l’attitude à l’égard de l’école libre » qui est ici déterminante (p. 56). Et l’on remarque combien cette gauche est différente de celle du début du siècle, où la question religieuse pouvait en quelques heures amener Saint-Malo à faire la une des médias nationaux et, accessoirement, conduire trois officiers au Conseil de guerre.

Se dessine alors un second trait de cette génération forgée dans la rose et le granit, celle des réalisations et de ce que certains politologues qualifient de socialisme municipal. Tous ces élus arrivent en effet au pouvoir avec la volonté d’user de méthodes d’administration plus démocratiques, souhait qui ne se traduit pas tout le temps dans la réalité des pratiques (p. 101). Et c’est sans doute à ce propos que le livre de T. Guidet est le plus stimulant, lorsqu’il décrit ces élus socialistes peu collectivistes en termes de politique de logement et qui, in fine, paraissent témoigner d’une érosion progressive de la ligne de démarcation entre la gauche et la droite (p. 111). L’exemple de la culture est à cet égard particulièrement frappant puisque les membres de cette génération sont convertis aux « retombées sonnantes et trébuchantes de ce que l’on appelle l’économie culturelle » (p. 115), les manifestations telles que la Folle journée à Nantes, le Festival interceltique à Lorient ou encore Les Tombées de la nuit à Rennes étant des éléments centraux « d’une stratégie d’attractivité où l’image joue un rôle majeur » (p. 116).

Le tramway à Nantes. La question du transport urbain est essentielle pour cette génération de 1977. Wikicommons.

Bien entendu, on est pas obligé de partager en tous points l’analyse de T. Guidet. Ainsi lorsqu’il met en avant l’importance du parcours universitaire, on peut légitimement se demander si cette dimension est propre à cette génération de 1977. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à des hommes politiques tels que Roger Karouchi, Julien Dray ou encore, plus récemment, Bruno Julliard. Pour ne citer que le cas de Rennes, un universitaire tel que Georges Dottin est un membre essentiel de la vie municipale des années 1920. De même, on peut se demander si un trait important de cette génération 1977 n’est pas d’être passée au travers des mailles des filets des affaires politico-financières qui empoisonnent la vie politique française de la fin des années 1980. Mais il est vrai que postuler ceci serait quelque part opposer un Ouest nécessairement vertueux car catholique à un midi obligatoirement affairiste (l’affaire Urba).

Néanmoins, il reste que lorsqu’il s’agira d’écrire l’histoire politique de la Bretagne de la fin du XXe siècle, ce livre comptera. L’analyse sociologique du vote qui conduit à l’arrivée (et au maintien) au pouvoir de cette génération de 1977 est brillante et est à l’image de la Revue Place publique Nantes/Saint-Nazaire que dirige Thierry Guidet : claire, attractive et stimulante.

Erwan LE GALL

1 GUIDET, Thierry, La Rose et le granit. Le socialisme dans les villes de l’Ouest, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 2014.