Les Bretons et la première finale

C’est un article confidentiel, bien caché dans la rubrique La vie sportive de L’Ouest-Eclair. En ce 1er août 1930, le quotidien breton relaie une information du correspondant du Daily Herald à Montevideo : l’équipe nationale d’Uruguay vient de battre l’Argentine par le score de 4 à 2. Le même jour, la Dépêche de Brest adopte un traitement sensiblement comparable, à partir de la même dépêche britannique mais, cette fois-ci, en rubrique Dernière heure. Or ce match est bien plus que la rencontre de deux sélections voisines entretenant une grande rivalité sportive : il s’agit tout simplement de la finale de la première Coupe du monde de football-association, pour reprendre les termes de l’époque, compétition créée par le français Jules Rimet !

L'équipue d'Uruguay en 1930. Wkicommons.

Bien entendu, un tel traitement médiatique ne peut que surprendre aujourd’hui, alors que la Coupe du monde de football est devenue un évènement planétaire, saturant les médias et permettant même, parfois, d’occulter bien opportunément quelques nouvelles désagréables. Mais c’est oublier que le succès de cette compétition n’était pas acquis d’avance. Pour preuve, la FIFA, pourtant bien peu portée à l’autocritique, reconnait que le choix d’organiser cette première Coupe du monde en Uruguay ne déclenche pas l’enthousiasme des foules… Bien entendu il y a le décalage horaire qui complique la couverture de la compétition mais surtout il y a un très long trajet qui implique que, concrètement, les joueurs soient libérés par leur club pendant deux mois. D’ailleurs, huit semaines avant le coup d’envoi de la première rencontre, aucune sélection européenne n’est inscrite (époque bénie où il n’était pas nécessaire de se qualifier pour participer à la Coupe du monde) ! Finalement c’est dans le courant du mois de mai 1930 que la France accepte de participer à cette première en Uruguay. Les joueurs embarquent à Villefranche-sur-Mer sur le SS Conte Verde pour une traversée de deux semaines… en compagnie d’autres sélections, notamment belges et italiennes.

L'équipe de France,avant de disputer son match contre l'Argentine. Wikicommons.

Pour autant, comment expliquer ce faible traitement médiatique ? Il y a bien entendu la distance qui complique le travail des journalistes et rend l’envoi de reporters sur place très couteux. Mais la nature même de la sélection française peut également expliquer le manque d’entrain des quotidiens bretons à relayer cette Coupe du monde. Non seulement il s’agit de jeunes joueurs, comptant peu de capes à leur actif, mais, de surcroît, ceux-ci proviennent essentiellement du Racing Club de France, du FC Sochaux, de l’OGC Nice ou encore du Red Star. Quiconque se rappelle la Coupe du monde 1998 et la présence dans l’effectif de Stéphan Guivarc’h pourra réaliser combien l’absence de joueurs provenant du Stade rennais ou d’autres équipes de l’Ouest est de ce point de vue préjudiciable. C’est donc sans surprise de manière très laconique que les résultats de la France dans ce tournoi sont annoncés par la presse bretonne. De plus, pour ne rien arranger, les Bleus jouent dans un groupe très relevé et sont éliminés dès leur deuxième match, après deux défaites face à l’Argentine et au Chili, la victoire 4-0 contre le Mexique n’étant que pour l’honneur.

Le but du Chili contre la France. Wikicommons.

Dans ces conditions, il n’y a au final rien de très étonnant à ce que cette première finale de la Coupe du monde ne fasse pas les gros titres de la presse bretonne. Pour autant quelques détails ne manquent pas de frapper lorsque l’on connait la suite de l’histoire. En effet, cette épreuve semble déjà marquée par maints excès, qu’il s’agisse de violence, puisque L’Ouest-Eclair et la Dépêche de Brest se font l’écho d’émeutes dans les faubourgs de Buenos-Aires suite à la défaite argentine, de pressions sur l’arbitre belge, soupçonné d’avoir laissé se développer un jeu violent favorisant l’Uruguay, ou de réactions d’hommes politiques qui, normalement, ne devraient pas interférer dans le champ sportif. Les quotidiens bretons rapportent en effet qu’à l’annonce de la victoire de la Celeste, le parlement uruguayen suspend ses travaux pour se rendre sur le terrain. De tous temps, une victoire en Coupe du monde fait donc la joie du pouvoir en place…

Erwan LE GALL