Quand l’En Avant de Guingamp découvrait le haut niveau

Fondé en 1912, le club de football de l’En Avant de Guingamp (EAG) a mis 60 ans pour découvrir le haut niveau. Tout juste repris en main par un jeune entrepreneur originaire du bourg voisin de Bourbriac, Noël Le Graët, le Petit Poucet de l’Argoat se révèle sur la scène footballistique nationale à la faveur d’une épopée glorieuse en Coupe de France, au cours de la saison 1972-1973. Alors modeste club de division régionale, l’EAG bat successivement quatre clubs de deuxième division : le Stade lavallois, le Stade brestois, Le Mans, puis le FC Lorient en 16e de finale. Au tour suivant, c’est le FC Rouen qui est au programme. Pour affronter cet autre club de deuxième division, les Guingampais investissent le Stade de la route de Lorient, antre habituel du Stade rennais. Nous sommes le 11 mars 1973, ce jour-là, Edouard Ollivro, le député-maire sortant de Guingamp va être réélu au Palais Bourbon. Mais, les Rouge et Noir lui volent la vedette, malgré l’élimination.

La fameuse équipe de 1973. Carte postale. Collection particulière.

Une défaite qui appelle des victoires. En effet, l’En Avant de Guingamp connaît trois montées en championnat lors des cinq saisons suivantes. 1977-1978 est celle de la découverte de la deuxième division. L’EAG joue désormais dans la cour des grands. Pour autant, le club des Côtes-du-Nord n’en oublie pas ses racines du football amateur, comme le montre un reportage de Sports Bretagne, une émission diffusée sur la télévision régionale le 4 septembre 19781. Du président aux supporters, en passant par l’entraîneur, tous les Guingampais ont bien conscience de l’exploit que représente la présence de cette petite sous-préfecture parmi l’élite du football français. Ainsi, Noël Le Graët rappelle que « Guingamp est la plus petite commune de deuxième division. 10 000 habitants, c'est peu, mais je crois que nos mérites sont un peu plus grands et nous avons une grande fierté de jouer en Nationale 2 ». L’entraîneur René Cédolin, passé par Rennes et Troyes, ne dit pas autre chose :  « Rennes, Troyes, ce sont des équipes qui ambitionnent à monter en première division et à devenir des grands du football. Guingamp se satisfait de cette place en deuxième division et espère la conserver le plus longtemps possible. Parce qu'il faut quand même l'avouer : pour une ville de 9400 habitants, c'est un bâton de maréchal. » Un état d’esprit qui a percolé jusqu’aux supporters, puisqu’à la question du journaliste qui demande si la montée en première division est pour cette saison, on lui répond : « Non, faudrait quand même pas. Faudrait pas qu'on soit ridicules ».

Loin d’une simple coquetterie, cette mentalité d’amateurs au cœur d’un football qui se professionnalise se confirme dans le management de l’équipe. Noël Le Graët assure que « tous nos joueurs sont amateurs, tous nos joueurs travaillent. Je considère que pour une ville comme Guingamp, c'est indispensable. » Si cela empêche le « vedettariat », cela amène quelques contraintes pour l’entraîneur : « on ne se voit pas trop souvent, parce que les joueurs travaillant la journée, on ne peut s'entraîner que 3 fois par semaine et le soir entre 18 heures 30 et 20 heures. » Alors, pour jouer à haut niveau, les joueurs de l’équipe fanion, « qui gagnent [tous] la même somme, 2 500  francs par mois », se doivent de compenser «  par un sérieux très important, tant dans l'entraînement que dans la qualité des repas, dans le sommeil et dans la récupération » : une vie de footballeur professionnel, en somme.

En écoutant les témoignages de deux  joueurs du club – le capitaine Yvon Schmitt et le jeune espoir Guy Stéphan –, on perçoit que la dimension régionale de l’En Avant de Guingamp est fondamentale. Le capitaine, qui se fait un « honneur » d’être au club depuis 15 ans, dit à ce propos que « notre problème, nous, c'est d'être joueur d'En Avant, d'être parti d'un club qui n'était pas grand-chose, finalement, dans la hiérarchie régionale, et d'être venu, je pense, dans les trois meilleurs clubs bretons ou quatre meilleurs, quand même, dans les quatre clubs les plus huppés de Bretagne ». Guy Stéphan, arrivé à l’EAG en 1976, assure que « c'est un plaisir de jouer avec des footballeurs qui sont de la région, et qui ont, avant tout, un bon esprit ».

Au-delà de la simple dimension footballistique, le nouveau statut de l’En Avant de Guingamp confère à l'équipe un nouveau rôle social dans la ville. Une jeune supportrice affirme que le club, « c'est plus ou moins une petite famille pour nous parce que ça fait 10 ans […] qu'on a suivi l'évolution et qu'on participe vraiment à part entière. Bon, quand ils gagnent, on est tous heureux, quand ils perdent, on est aussi malheureux qu'eux ». Un autre supporter soutient que les bars guingampais sont désormais plein  les samedis soirs après les matchs, parce que « tout le monde attend les résultats des autres équipes de seconde division ». Pourtant, du point de vue  de la nouvelle municipalité communiste, l’enthousiasme ne semble pas aussi flagrant en écoutant l’adjoint aux sports : « je ne sais pas si on peut parler d'aubaine. Sur le plan de la renommée de Guingamp, certainement. Sur le plan des problèmes quotidiens, des petites tracasseries quotidiennes, dues à l'entretien du terrain, bon, on en prend notre part, on fait avec […] c'est quand même l'équipe phare de Guingamp, mais pour nous, c'est une équipe parmi les autres. Guingamp est une ville... une petite ville qui bénéficie d'un club de deuxième division, c'est vrai, mais malheureusement, on ne peut pas répondre aux espoirs du club comme on le voudrait, comme le souhaiterait le club ».

Austade Yves-Jaguin, ancètre de l'actuel Roudourou. L'Echo de l'Armor et de l'Argoat.

Au fil des saisons, l’En Avant de Guingamp a su faire perdurer cette culture de l’amateurisme malgré le passage au professionnalisme en 1984, au point d’en faire une marque de fabrique : « le club des paysans ». Mais force est de constater que la greffe du haut niveau a pris au sein du club, puisque jusqu’à aujourd’hui, il n’est redescendu en troisième division qu’à deux reprises, lors des saisons 1993-1994 et 2010-2011. Et n’oublions pas ses deux victoires en Coupe de France en 2009 et 2014, face au rival du Stade rennais. L’EAG est désormais bien installé dans la hiérarchie du football breton.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA. « Guingamp, une équipe du Centre Bretagne accédant à la 2e division de football », Sports Bretagne, France Régions 3 Rennes, 04 septembre 1978, en ligne.