Du football à Noël !

A n’en pas douter, nombreux seront encore cette année celles et ceux à recevoir des cadeaux sportifs, qu’il s’agisse de matériel spécialisé ou de places pour assister à un match. C’est là d’ailleurs un reflet intéressant de nos sociétés contemporaines, entre consommation à outrance et succès financier du sport-spectacle. Pour s’en convaincre, que l’on songe quelques instants au boxing day, autrefois tradition des pays anglo-saxons du jour d’après noël où l’on offrait des cadeaux aux pauvres, aujourd’hui journée commerciale marquée notamment en Grande-Bretagne par d’importantes rencontres de football. Pour autant, quel que soit notre rapport au consumérisme, on aurait tort d’y voir une tendance uniquement récente, sans racines dans un passé plus lointain.

Une équipe de football au début des années 1900. Carte postale, collection particulière.

Dans son édition du 20 décembre 1906, L’Ouest-Eclair fait en effet en des termes particulièrement dithyrambiques la promotion du match de football qui doit se jouer quatre jours plus tard dans le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine entre le Stade Rennais Université Club et le Club Français de Paris, équipe dont le quotidien breton nous précise qu’elle est « plusieurs fois champion de France et de Paris ». Les termes employés sont en effet d’autant plus surprenants qu’ils sont publiés par un journal catholique, de surcroît à une époque où les affres de la séparation des églises et de l’Etat, particulièrement difficile dans la région, occupent une large place : « Quel plus beau cadeau de Noël peut-on offrir à des sportsmen qu’un spectacle sportif où doivent être accomplis de brillants efforts et d’élégants mouvements ? »1.

Y compris à la Belle époque, les enjeux financiers lors de telles rencontres ne sont pas absents, le couple sport et buisines étant en effet bien plus ancien que l’on veut bien le croire généralement. C’est ainsi que par exemple que pour cette rencontre exceptionnelle « les établissements scolaires et les militaires auront une réduction de 40% sur le prix d’entrée »2. Et comme pour inciter le plus grand nombre de spectateurs à venir assister à cette rencontre, L’Ouest-Eclair publie des portraits particulièrement flatteurs de certains joueurs, comme des prémices du vedettariat qui entoure actuellement certains champions. Canelle, le défenseur du Club français est ainsi présenté comme « le meilleur arrière de France », joueur décrit comme possédant « au plus haut point la science du jeu »3. Au Stade rennais, c’est un certain A. Audren qui tient le haut de l’affiche : « excellent joueur, consciencieux, très vite, jouant beaucoup plus pour le club que pour lui »4.

Bien entendu, s’il est facile de déceler aujourd’hui en cette rencontre certains indices préfigurant l’époque que nous vivons actuellement, d’autres aspects rappellent que ce match disputé en 1906 appartient bien aux temps héroïques des pionniers. C’est ainsi que P. Lamy, le demi-centre du Stade Rennais, pratique le football mais également le saut à la perche, le disque et la natation. Evoluant pour sa part au poste d’avant droit, le dénommé Zimmermann est lui un ancien joueur de rugby reconverti dans le ballon rond5.

Lors d'un match, dans les années 1900. Carte postale, collection particulière.

Le coup d’envoi de la rencontre est prévu pour être donné à 14 heures sur le terrain de SRUC, qui évolue boulevard Voltaire, dans le quartier de la Mabilas. Et le match s’apparente bien à un succès, malgré un froid rigoureux, puisque L’Ouest-Eclair indique que « nous n’exagérons pas en disant que plus de 1 500 personnes étaient présentes » dans les tribunes, chiffre non négligeable lorsqu’on sait que la population du chef-lieu du département oscille autour des 70 000 individus. Pour les organisateurs, l’assistance est un réel enjeu puisque c’est le SRUC qui doit prendre en place financièrement le déplacement de ses adversaires et que seule la vente des billets permet d’amortir les investissements concédés. C’était là d’ailleurs la plus grande incertitude de la rencontre puisque sur le plan sportif, de l’aveu même du quotidien breton, peu de surprises étaient à attendre : «  les Rennais ne se faisaient d’ailleurs aucune illusion sur le résultat du match ; ils savaient les brillantes qualités de leurs adversaires et, de leur propre avis, cette rencontre leur donnait seulement l’occasion de prendre des leçons pour les luttes de l’avenir ». Aussi s’inclinent-ils sur le score de 2 à 3.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 « Club français à Rennes », L’Ouest-Eclair, n°2901, 20 décembre 1906, p. 2.

2 « Le Club français à Rennes », L’Ouest-Eclair, n°2900, 19 décembre 1906, p. 2.

3 « Le Club français à Rennes », L’Ouest-Eclair, n°2899, 18 décembre 1906, p. 2.

4 « Le Club français à Rennes », L’Ouest-Eclair, n°2900, 19 décembre 1906, p. 2.

5 « Le Club français à Rennes », L’Ouest-Eclair, n°2902, 21 décembre 1906, p. 2.